Remy de Gourmont : post scriptum d'une lettre adressée par Remy de Gourmont à son ami Emile Barbé, le 22 novembre 1878 (document communiqué par Th. Gillybœuf) :

P.S. Je reviens du Mont Saint Michel. La digue est faite, admirablement faite. La mer y bat complaisamment, sans haine : elle la respecte.

En tout temps, le mont est accessible : il n'est plus en péril-de-mer, les voyageurs non plus. Aussi, il y en a des touristes ! Cent cinquante badauds par jour qui viennent mesurer de l'œil la hauteur de la merveille, manger des fritures & acheter des coquillages !

Puis l'autre digue, celle de Courtils [ ? ] qui s'avance menaçante & qui, elle aussi, va bientôt venir s'appuyer sur les remparts !

En revanche le Cloître est achevé, merveilleusement décoré, les moulures adroitement refaites, le toit recouvert en briques de trois couleurs : jaunes, rouges & noires, d'un effet saisissant dans sa singularité.

La première digue arrive à la hauteur de la tour poivrière, près de l'entrée ; l'autre s'abattra près de la tour du nord : ainsi près de la moitié du mont sera enclavé dans la terre ferme !

Gémissez sur l'Industrie ainsi entendue & vous ferez comme moi. Je vous y donne rendez-vous, au Mont — quand vous voudrez ! — à moins que vous n'attendiez pour revenir que les deux travées de la Basilique soient faites ou que la mer enlève les digues.

Remy de Gourmont


Marie Ravenel, Œuvres complètes, Philippe Le Lanchon Editeur, 2003

LE MONT SAINT-MICHEL.

Sur un rocher de nos rivages,
Quel est ce pouvoir merveilleux
Qui lui garde, à travers les âges,
Un prestige aussi glorieux ?
D'où viennent ces cris de victoire,
Ces bannières, ces chants de gloire,
Ces immenses processions
Dirigeant vers sa basilique
Toute la pompe catholique,
Tout l'hosanna des nations ?

De temps en temps, la Providence
Manifeste ses grands desseins ;
L'œil simple perçoit sa présence
Dans ses œuvres et dans ses saints.
Aux yeux des foules étonnées
De ces grèves les destinées
Sont un miracle perpétuel :
Depuis mille ans, que de mystères
Planent sur ces rocs solitaires
Intitulés : Mont Saint-Michel !

C'est que ces sauvages retraites
Devinrent, dans les anciens temps,
La terre des anachorètes,
Des moines et des pénitents ;
De vertus ainsi parfumées,
Le chef des célestes armées
Descendit et dit : C'est ma part !
Ouvrant son aile archangélique,
II couvrit cette roche unique
D'un inviolable rempart.

Elle a vu les flottes hostiles
De voisins puissants et jaloux
La consteller de projectiles ;
Elle a défié tous leurs coups ;
Elle a vu leur nombreuse troupe
Tourner honteusement la poupe
Pour aller dire en leurs foyers
Qu'une roche de Normandie
Avait nargué, fière et hardie,
Leurs assauts les plus meurtriers.

Tous les jours, cités et villages
Portent là leurs dévotions ;
D'innombrables pèlerinages
Se forment en processions ;
Chacun sent une envie étrange
De prier au Mont de l'Archange
Et tous, d'un même élan d'amour,
Vont mêler les hymnes sacrées
A la grande voix des marées
Qui l'embrassent deux fois le jour.

Contemplez ces masses chrétiennes,
Sous l'oriflamme du Seigneur,
Alternant les saintes antiennes
Et cheminant de tout leur cœur.
Est-ce l'altière forteresse
Ou la vaste mer qui la presse
Qui les attire en ces déserts ?
Non, c'est le prince magnanime
Qui règne sur ce mont sublime,
Dont nos riverains sont si fiers.

Pourquoi tant de saints personnages
Aux temps passés sont-ils venus
Creuser ici leurs ermitages
Et les embaumer de vertus ?
C'est que ces belles solitudes
Animaient leurs nobles études,
Soutenaient l'essor de leur cœur :
Car toujours la grande nature
Apprend à l'âme ardente et pure
A contempler le Créateur.

Notre Manche a tous les suffrages,
Elle captive tous les goûts ;
Nul n'a de plus beaux paysages,
Souffle plus pur, climat plus doux.
Est-il ailleurs plus d'obligeance,
Plus de maisons de bienfaisance,
De monuments religieux ?
Est-il une plus belle histoire,
Un plus opulent territoire
Et des bras plus laborieux ?

Oh ! ma presqu'île bien-aimée,
Diocèse chéri de Dieu,
Puisse ta juste renommée
S'accroître et fleurir en tout lieu !
Que ton nom soit le synonyme
De la noblesse légitime,
De la science et de l'honneur,
De la sagesse valeureuse,
De la charité généreuse,
De la foi chrétienne et sans peur.

Marie Ravenel (1811-1892)


Louis Foisil : extrait de La Légende du Mont-Saint-Michel

DU SABLE... AU CHEF D'AZUR

(Le Mont Saint-Michel)

Celui qui, descendant de la céleste arène
Prit ce rocher pour sanctuaire et pour parvis,
Y veille en bon soldat du royaume, et de sa voix
Suscita la Pucelle aux Marches de Lorraine

Aussi comme un petit hobereau de Touraine,
La coquille au pourpoint et le missel aux doigts
Le roi Louis vint au Mont, et par trois fois
Courber devant le saint sa tête souveraine.

Mais là, le bon plaisir du monarque fut tel
Que, pour commémorer l'appui surnaturel
Obtenu par Michel au pays des souffrances.

Le Mont peut désormais, au chef de son écu
En souvenir de Jeanne et de l'Anglais vaincu
Coudre le champ d'azur fleurdelysé de France.

Louis Foisil (1880-1942)


Paul Léautaud : extrait de « Voyage », paru dans Passe-Temps II, Mercure de France, 1954

Ma compagnie a pris dès l'arrivée une place pour un des cars qui fait le voyage du Mont-Saint-Michel. Je me refuse à aller voir cette « horreur » dont m'ont dégoûté à l'avance l'admiration des niais et tous les chromos que j'en ai vus [...]. Au moment de son départ, [...] je me ravise [...]. Je prends une place pour moi. A ..... départ pour le Mont-Saint-Michel. [...] La route suit à peu près la côte. Au loin, le Mont-Saint-Michel, qui apparaît, disparaît, reparaît, qu'on voit d'abord un peu sur sa gauche, puis tout à fait sur sa gauche, puis devant soi, selon le tracé de la route. Arrivés à [blanc]. On descend du car. On fait une centaine de mètres à pied, dans le sable, pour gagner l'entrée. Je ne me suis pas trompé dans ma méfiance. Rien de si admirable, ce Mont-Saint-Michel. Très surfait. Par surcroît, nous sommes à marée basse, alors que le site prend toute sa beauté, paraît-il, quand la mer l'entoure de tous côtés. Nous entrons, et tout de suite une rue montante où, comme dans une [illisible] garnie de chaque côté de magasins de cartes postales, de bibelots-souvenirs, d'hôtels, de restaurants, où, comme dans une petite foire, une retape sans arrêt s'exerce à l'égard du visiteur, chacun de ces magasins prétendant à l'excellence de sa marchandise. Le conducteur du car, questionné par nous sur un restaurant, nous avait indiqué le Duguesclin. Fort bien déjeuné là malgré cette enseigne au nom de ce bandit de grand chemin. Ensuite ascension et visite du monastère par ma compagnie, plus curieuse et plus courageuse que moi. Une montée au total de [blanc] marches, paraît-il, et de la plate-forme la plus haute, une vue admirable, avec Avranches au loin. Je me suis contenté pour ma part de rester assis sur une des premières marches, attendant là en pensant à mes affaires, comme si j'eusse été chez moi, dans ma vie ordinaire, nullement transformé, décidément en voyageur. Nombreux Anglais et Américains gravissant en riant la suite d'escaliers, munis d'appareils photographiques, et prenant à chaque instant une vue ou une autre.


Ergen : Le Mois littéraire et pittoresque, n° 162, 1912, p. 33


LA « MERVEILLE »

Jalon prestigieux entre les deux presqu'îles,
Le Mont pyramidal dresse ses murs altiers
Et ses toits, qui de loin, paraissent des cimiers,
Sous le ciel pommelé de nuages mobiles...

A l'époque fameuse où des hordes hostiles
Assiégèrent, du Roc, les farouches Moustiers,
Aux Normands, la Bretagne envoya ses guerriers,
Braves dans les combats et les luttes viriles.

Des siècles ont passé... Mais les Provinces-Sœurs,
Malgré les ouragans, les courroux et les heurts,
Ont toujours conservé l'amitié millénaire !

Et, dans le Grand Conflit, terrible et long fléau,
Leurs fils, d'un même élan, montèrent à l'assaut
Pour vaincre, côte à côte, et pour « tuer » la Guerre !!

Louis LANSONNEUR.

(Scripta, n°18, avril-mai 1935, p. 8)