Prose et vers. Œuvres posthumes, coll. La Phalange, Albert Messein, 1925.

REMY DE GOURMONT

Est-ce par modestie que Remy de Gourmont a donné ce titre un peu désabusé de Divertissements à son recueil de vers ? Nous ne le pensons pas, car la modestie siérait mal à l'un des hommes les plus justement orgueilleux de notre époque, qui est conscient de sa valeur et la sait imposer sans vaine forfanterie. Je pense plutôt qu'un soir de mélancolie Remy de Gourmont a feuilleté ses anciens poèmes, comme on feuillette de vieilles lettres d'amour. Et de même que l'amant s'étonne de certaines passions de sa jeunesse, et s'en amuse même un peu, entre sourire et larmes, l'écrivain, tout en convenant qu'il fut sincère au moment de s'abandonner à l'élan lyrique, s'excuse de la grande liberté qu'il prend de vous rappeler ces heures de laisser-aller.

Divertissements ? Non, mon cher Remy de Gourmont. La poésie ne fut jamais pour vous un divertissement. Disons plutôt qu'elle n'aurait jamais suffi à contenir votre pensée. Vous auriez pu devenir un des grands poètes de ce temps. Vous vous êtes contenté d'en être un des plus profonds philosophes. Et ce qui est étonnant, c'est que votre raison raisonnante ne sait point se passer de la vie vivante. Je dis expressément, et non par pléonasme se passer de la vie vivante. Car la vie est partout, et non toujours où l'on croit. Elle est plus ardente au fond des bibliothèques que dans la mêlée de la rue ; oui, jeunes gens qui croyez pauvrement que l'aéroplane est plus vivant que la Chimère. Mais justement, voici un penseur qui doit vous plaire. La vie au jour le jour, la vie agissante, la vie qui touche immédiatement à nos sens l'excite, le stimule, l'enivre. Il a besoin de vivre pour penser, comme les méridionaux ont besoin de parler.

Deux hommes dans la génération symboliste n'ont jamais cessé de m'étonner : Paul Fort et Remy de Gourmont. Tous deux ont la même passion de la vie ; mais l'un y recueille des idées et l'autre des images. Tous deux doivent être parfaitement heureux, ou du moins ils ne doivent jamais s'ennuyer, puisque la Nature offre à profusion les images les plus hétéroclites et inspire les réflexions les plus disparates. Un des plus sérieux éléments de la joie, c'est la surprise. Et l'on sent que Remy de Gourmont autant que Paul Fort a gardé devant les choses l'étonnement perpétuel d'un homme qui se croit sceptique, mais qui est resté, pour notre bonheur, comme un enfant.

Aussi la poésie d'un pareil esprit....

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On peut dire qu'il a été pragmatiste avant la lettre...

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Il ne faut pas oublier que si la vie nous façonne plus ou moins, nous sommes aussi capables de la recréer à notre image et de la plier à nos idéologies.Voyez donc Hegel, sans remonter jusqu'à Platon....


A consulter :

- Jean de Gourmont, « Littérature : Stuart Merrill : Prose et vers », Mercure de France, 1er mai 1926, p. 653-656

- Stuart Merrill vu par Remy de Gourmont