Georges Millandy, Mon vieux Boul' Mich', Editions Eugène Figuière, 1935


« Il y a des terres neuves où le livre fleurit encore, écrivait un jour, dans Comœdia, M. José Germain : ce sont ces terres de colonisation où l'art français germe sur des parterres d'âmes jeunes ou rajeunies, émerveillées. »

Le Pays latin que peuple la jeunesse intellectuelle venue des quatre coins du monde, est aujourd'hui, une de ces terres bienheureuses. Ces libraires l'ont bien compris qui ont ouvert sur le Boul' Mich', d'importants magasins, et installé sur le trottoir, des éventaires dont le succès serait plus grand encore, si les romans et les recueils de vers n'étaient aujourd'hui, moins nécessaires que les livres de comptes !

L'installation de ces librairies date seulement d'une dizaine d'années. Nous ne connaissions autrefois que les bouquinistes des quais et des environs de la Sorbonne auxquels aux fins de mois nous vendions à vil prix, nos Larousse, et chez qui nous découvrions parfois un bouquin rarissime tombé miraculeusement dans la boîte aux soldes. Quand nous voulions nous procurer un ouvrage moderne : le dernier succès de Zola, de Bourget ou de Prévost, il nous fallait aller le chercher sous les galeries de l'Odéon où la librairie Flammarion offrait comme aujourd'hui, à côté des plus riches collections d'œuvres classiques, le choix le plus complet de livres nouveaux.

On peut bouquiner à présent sur le Boul' Mich' ; mais je sais des gens qui sont restés fidèles à leurs vieilles galeries, et qui continuent d'y venir muser aux étalages. Sans doute, évoquent-ils le souvenir des célèbres écrivains qui se rencontraient là avant d'aller bavarder chez Tabourey, au Café du Divan qui se trouvait en face, rue Rotrou, au premier étage de l'immeuble occupé maintenant par les magasins de la librairie Flammarion.

Que de fois naguère, j'ai croisé sous les galeries, Pierre Louys faisant les cent pas avec Rémy de Gourmont ! Que de fois j'ai vu Theuriet, Moréas et Richepin conversant avec André Vaillant, qui était alors directeur de la maison ! Et que de fois aussi, en sortant de l'Odéon j'ai guetté près de la petite porte du concierge, le passage de la jolie comédienne que je venais d'applaudir !

Sans doute, est-ce à cause de ces admirations du temps de ma jeunesse, que j'aime à errer encore sous les vieilles voûtes qui, dans ce coin recueilli, semblent porter le poids d'un passé lourd de gloire et de souvenirs.


La mort tragique du poète René de la Villoyo pour plusieurs journaux, matière à de bien injustes et bien cruelles réflexions. On venait de reprendre à l'Odéon, La vie de bohème. Ce fut pour de bons petits confrères suffisamment rentés, l'occasion d'un éreintement où apparaît trop clairement leur surprisé et leur dépit devant le bruit fait autour du nom d'un poète qu'ils n'avaient pas voulu reconnaître comme un des leurs.

Dans le journal Le Procope, que je dirigeais à cette époque, je crus devoir répondre à ces attaques (1er décembre 1897). « Que pensez-vous, écrivais-je, de la colère des arrivistes devant le succès posthume de notre pauvre ami ? »

Drapé dans la couverture violette du Mercure de France, M. Rémy de Gourmont déclare : « Il y a à Paris, en province et en Belgique une dizaine au moins de revues qui, lues du public lettré, les unes beaucoup, les autres un peu, suffisent à faire connaître un écrivain de quelque talent. Si René de la Villoyo avait eu ce « quelque talent », toutes ces revues lui étaient ouvertes, et même celles qui passent pour les moins abordables. »

Et M. de Gourmont clôt sa petite tartine sur cette phrase : « Il n'y a pas, sur la question, un seul mot de plus qui vaille la peine d'être écrit. »

Plus impitoyable, parce que moins autorisé sans doute, M. Jacques des Gachons qui, évidemment, ne sut du poète que ce qu'on en a dit sur le boulevard, écrit dans l'Ermitage : « Ce pauvre garçon est mort de bohème, c'est-à-dire de fainéantise, d'orgueil imbécile, de saoulerie et d'impuissance ! »


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