J.-K. Huysmans à la Trappe.

J.-K. Huysmans à la Trappe, Le Divan, 1927


à Madame / la comtesse / Charles de Voguë / humble et respectueux / hommage/a. Mugnier

I

COMMENT J'AI ENVOYÉ HUYSMANS A LA TRAPPE

[...] Je m'étais rendu, un matin, à une vente de charité qui avait lieu au profit d'une œuvre lorraine, rue de Grenelle, dans la salle de la Société d'Horticulture.

La personne qui m'avait invité me présenta à l'une des patronnesses qui tenait le buffet d'ailleurs fort peu achalandé. Elle s'appelait Mme Berthe Courrière. Ayant appris, par hasard, que je m'intéressais à George Sand et que j'avais été à Nohant, elle exprima le désir de me faire une visite pour me parler du sculpteur Clésinger qu'elle avait connu dans ses neuf dernières années.

Cette visite fut suivie de beaucoup d'autres. Mme Courrière entrait presqu'en courant, dans la belle sacristie de Saint-Thomas d'Aquin où j'étais alors vicaire, et dont les fenêtres s'ouvraient sur des jardins qu'on ne voit plus.

A peine assise, et sans comprendre que ce n'était pas le lieu de pareilles lectures, elle sortait d'un cabas à tapisserie qui ne la quittait pas, force journaux et revues, et entr'autres le Mercure de France où d'un doigt infaillible elle me désignait, sur la couverture, les maîtres littéraires de l'avenir ; ou bien les derniers numéros de l'Echo de Paris qui achevait la publication de Là-bas.

Je connais beaucoup, me dit-elle un jour, l'auteur de ce roman, M. Huysmans. C'est un écrivain de grand talent. Il rôde, depuis quelque temps, autour des églises, et cherche un prêtre à qui il puisse se confier. Je lui ai parlé de vous. Il serait heureux de vous voir, si vous y consentez.

Je n'avais pas lu une seule ligne de lui ; je savais qu'il était du groupe de Médan, et c'était tout. Mais une telle rencontre était loin de me déplaire ; et si l'idée de faire un peu de bien suffisait déjà à me stimuler, je mettais aussi une sorte de coquetterie à montrer que l'Eglise qui admet toutes les formes de gouvernement peut vivre en bonne harmonie avec toutes les écoles littéraires.

Au jour marqué pour le rendez-vous, qui était le 28 mai 1891, je vis entrer, dans cette même sacristie où j'étais de garde, un homme maigre, la tête non entièrement rasée, la moustache courte, et manifestant l'embarras qu'on éprouve ordinairement dans un endroit qui ne vous est pas familier.

Mme Courrière se retira et j'invitais Huysmans à prendre place près de la cheminée [...].

Ch. Jouas