1. « Les livres : Remy de Gourmont », Le Temps, 5 novembre 1915
2. « Un son de cloche », Le Temps, 27 décembre 1915
3. « Les livres : [...] Les Idées du jour ; M. Croquant ; Physique de l'amour », Le Temps, 6 juin 1918
4. « M. Croquant et M. Homais », Le Temps, 10 juin 1918
5. « Les Lettres d'un satyre », Le Temps, 5 février 1920
6 « Le monument de Remy de Gourmont », Le Temps, 25 septembre 1922
7. « Critique de la critique des critiques », Comœdia, 23 décembre 1922
8. « La plaque de Remy de Gourmont », Le Temps, 12 mai 1924

6. « Le monument de Remy de Gourmont », Le Temps, 25 septembre 1922

LE MONUMENT DE REMY DE GOURMONT

On inaugure aujourd'hui un buste de Remy de Gourmont à Coutances, sa ville natale. On fait bien. C'était un écrivain de talent, qui aimait passionnément la littérature et la science. Il a droit à notre hommage. Maintenant, il va sans dire que ses admirateurs exagèrent, lorsqu'ils le proclament grand philosophe, grand critique et grand écrivain. Mais peut-être ces exagérations sont-elles nécessaires, en un temps qui a perdu le sens de la valeur des mots ; peut-être faut-il s'écrier « Quel génie ! quel dentiste ! » pour faire simplement comprendre aux gens qu'un auteur vaut la peine d'être lu. Ajoutez que, malgré de fréquentes incursions dans la grande presse, Remy de Gourmont était resté fidèle au Mercure de France, qui fut vraiment sa maison, et qu'il a fait figure toute sa vie d'homme d'avant-garde et de cénacle. D'où sa popularité parmi les jeunes, particulièrement enclins à prendre une taupinée pour le Caucase.

Tâchons, d'être juste pour Remy de Gourmont, sans hyperbole ni dénigrement. Et d'abord, lisons les Pages choisies de son œuvre, un fort volume, que vient de publier M. Marcel Coulon, le critique pénétrant et informé des Témoignages et d'Anatomie littéraire. Son culte pour Gourmont est, en effet, un témoignage de poids, surtout chez un disciple de Moréas. Il y avait peu de sympathie entre Moréas et Gourmont. M. Marcel Coulon leur accorde la sienne à tous deux. C'est d'un bon naturel, et l'on ne prétendra pas qu'il ait tort. Mais Moréas, qui a peu écrit, nous impose souvent le sentiment de la chose parfaite. Gourmont, formidable polygraphe, espèce de Pic de la Mirandole, auteur d'une soixantaine de volumes en tous genres, ne nous donne jamais celui de la sécurité. Ses vers ne comptent pas. Il se plaisait à versifier, parce qu'il aimait sincèrement la poésie, et parce qu'il était né à la vie littéraire dans les milieux symbolistes. Mais il n'avait dans ce domaine qu'un petit talent d'amateur. C'était un prosateur-né, et malgré quelque imagination nourrie d'une abondante lecture, le poème en prose ou la prose poétique ne lui réussissait que dans une mesure honorable, sans plus. Franchement, la première partie du recueil de M. Marcel Coulon, consacrée à « l'artiste », paraît assez ennuyeuse. Cela porte trop la marque d'une époque. Cela devait sembler excellent dans les petites revues d'il y a trente-cinq ans. Aujourd'hui, la formule est périmée. Des pages détachées des romans de Gourmont perdent beaucoup de leur intérêt. Il faut lire les romans tout entiers, qui valent surtout par l'ingéniosité de la conception, généralement très libertine. Il nous est pourtant impossible de partager certains enthousiasmes pour Une nuit au Luxembourg, qui est de ces romans le plus vanté, et que nous gâte une certaine gaucherie.

En somme, Gourmont est mieux sur son terrain dans ses œuvres théoriques, lorsqu'il traite de sciences physiques ou biologiques, de linguistique, d'esthétique, de religion, de morale, etc. De quoi n'a-t-il pas parlé ? Les plus agréables, parmi ses nombreux volumes, ce sont les Épilogues et les Dialogues des amateurs, où il a réuni ses petites chroniques idéologiques du Mercure, écrites au gré de l'actualité, d'une plume toujours alerte et piquante. Il y a aussi des chapitres remarquables dans la Physique de l'amour, dans les Promenades philosophiques, dans l'Esthétique de la langue française, etc. M. Marcel Coulon n'a eu garde de les oublier. On trouvera dans son anthologie des extraits de la Loi de constance intellectuelle, de l'Insurrection du vertébré, et d'autres pages fameuses. Gourmont fut un maître de la vulgarisation scientifique, qu'on peut citer après Fontenelle et le Voltaire des Éléments de la philosophie de Newton. C'est peut-être la part la plus solide de son œuvre. Et c'est d'un bon exemple.

Sa critique littéraire et proprement philosophique est malheureusement infirmée par une versalité et parfois une légèreté incroyables. Il contredit tout le monde, sans se donner toujours la peine de comprendre ou même de lire les textes. Il se contredit lui-même avec une étonnante facilité, non seulement à quelques années de distance, mais dans le même livre et le même paragraphe. Par exemple il accuse Voltaire de n'avoir pas lu Bacon, et prouve ainsi que c'est lui qui n'a pas lu les Lettres philosophiques. Il exalte Berthelot dans les Promenades et le piétine dans les Épilogues. II préfère hautement le latin d'Eglise à celui d'Horace, et se défend de vouloir détruire les vieilles admirations. Il admire La Fontaine, mais ne lui trouve aucune originalité et déclare son imitation servile, etc. Athée avec délices, il n'exècre pas moins la raison que les religions. Il jettera même par-dessus bord la science expérimentale qu'il a si bien servie. Il poussera la manie de la contradiction jusqu'aux plus étranges paradoxes, libre-penseur radical contre les catholiques ou les spiritualistes, réactionnaire contre les gens de gauche, antidreyfusard contre Zola, antinationaliste jusqu'au scandale contre Barrès et Déroulède, tantôt révolutionnaire et quasi anarchiste, tantôt liberticide jusqu'à l'esclavagisme, etc. Il avait quelques-uns des défauts du caractère normand, processif et chicanier. À certains égards, il ressemble à son concitoyen Georges Sorel. Mais leur goût du paradoxe saugrenu et leurs perpétuelles voltefaces n'ont empêché ni l'un ni l'autre d'être fort amusants. — P. S.

[texte entoilé par Michel Courty.]

Échos

Mardi 26 septembre —. [...] Souday ne manque pas une occasion d'égratigner Gourmont. Il a écrit dans Le Temps un article à propos de l'inauguration du monument. C'est plein de méchanceté. Il parle de la réputation de Gourmont chez les jeunes, toujours enclins à prendre une taupinée pour le Caucase. Il reproche à Gourmont toutes les contradictions, admiration pour la science, son penchant à tout gober dans ce domaine comme des vérités définitives. Ce n'est pas pour rien que madame Huot le surnommait un jour Remy-la-science (Paul Léautaud).