1. Qu'est-ce que l'Art ?, Ollendorff, 1898 & Librairie académique Perrin, 1931

Plus tard, l'élément du désir sexuel a commencé à pénétrer de plus en plus dans l'art ; il est devenu désormais, à très peu d'exceptions près, un élément essentiel dans tous les produits artistiques des classes riches, et en particulier dans les romans. De Boccace à Marcel Prévost, tous les romans, contes, et poèmes expriment le sentiment de l'amour sexuel sous ses rormes diverses. L'adultère est le thème favori, pour ne pas dire l'unique thème de tous les romans. Une représentation théâtrale a pour condition indispensable que, sous un prétexte quelconque, des femmes paraissent sur la scène avec le buste et les membres nus. Les opéras et les chansons, tout est consacré à l'idéalisation de la luxure. La grande majorité des tableaux des peintres français représentent le nu féminin. Dans la nouvelle littérature française, à peine s'il y a une page où n'apparaisse le mot « nu ».

Un certain auteur, nommé Rémy de Gourmont, trouve à s'imprimer, et passe pour avoir du talent : pour me faire une idée des nouveaux écrivains, j'ai lu son roman, les Chevaux de Diomède. C'est le compte-rendu suivi et détaillé des relations sexuelles de quelques messieurs avec diverses dames. Même chose pour le roman de Pierre Louys, Aphrodite, qui a eu un succès énorme. Ces auteurs sont évidemment convaincus que, de même que leur vie entière se passe à imaginer diverses abominations sexuelles, de même la vie du monde entier doit se passer à en imaginer. Et ces auteurs trouvent des imitateurs sans nombre, parmi tous les artistes d'Europe et d'Amérique.

p. 94-95.

Et pour qu'on ne croie pas que ce que je dis soit une affirmation hasardée, je vais citer quelques passages des poètes français qui ont dirigé le mouvement décadent. Le nom de ces poètes est légion. Et si je ne cite que des Français, c'est parce que ce sont eux qui sont à la tête du nouveau mouvement artistique, tandis que le reste de l'Europe se borne à les imiter.

En outre de ceux qui sont déjà considérés comme célèbres, tels que Baudelaire et Verlaine, voici les noms de quelques-uns d'entre eux : Jean Moréas, Charles Morice, Henri de Régnier, Charles Vignier, Adrien Remacle, René Ghil, Maurice Maeterlinck, Rémy de Gourmont, Saint-Pol-Roux-le-Magnifique, Georges Rodenbach, le comte Robert de Montesquiou-Fezenzac. Ceux-là sont les symbolistes et les décadents ; mais il y a aussi les mages : le Sâr Peladan, Paul Adam, Jules Bois, Papus, et autres. Et, outre cela, vous pourrez en lire encore cent quarante et un autres, que Doumic mentionne dans son livre Les Jeunes.

p. 102-103.

Echos

- Yvanhoé Rambosson, « Publications d'art. Les livres : Léon Tolstoï : Qu'est-ce que l'art ? », Mercure de France, octobre 1898, p. 259-263

- Charles-Henry Hirsch, « Les Revues [à propos d'une enquête de la Grande Revue sur Qu'est-ce que l'art ? »], Mercure de France, avril 1899, p. 223-225

- Robert de Souza, « Littérature : Réponse à Tolstoï, par le Sâr Péladan ; Qu'est-ce que l'art ? par le coimte Léon Tolstoï », Mercure de France, juin 1899, p. 774-775


Tolstoï vu par Gourmont