Paul Adam par Vallotton

1. « Paul Adam », Le Livre des masques, 1896
2. R. de Bury, « Les journaux », Mercure de France , I-XI-1908
3. « L'amour », Nouvelles dissociations , 1925


1. « Paul Adam », Le Livre des masques, Mercure de France, 1896, pp. 131-136

PAUL ADAM

L'auteur du Mystère des Foules fait invinciblement songer à Balzac ; il en a la puissance et aussi la force dispersive. Comme Balzac, mais en bien moindre quantité, il écrivit, très jeune, d'exécrables tomes, où nul n'aurait pu prévoir le génie futur d'une intelligence vraiment cyclique ; La Force du mal n'est pas plus en germe dans le Thé chez Miranda que le Père Goriot dans Jane la Pâle ou le Vicaire des Ardennes. M. Paul Adam est pourtant un précoce, mais il y a des limites à la précocité, surtout chez un écrivain destiné à raconter la vie telle qu'il la voit et telle qu'il la sent. Il faut que l'éducation des sens ait eu le temps de se parachever et que l'expérience ait fortifié l'esprit dans l'art des comparaisons et du choix, de l'association et de la dissociation des idées. Un romancier encore a besoin d'une large érudition et de toutes sortes de notions que l'on n'acquiert solides que lentement, par hasard, par le bon vouloir des choses et la complaisance des événements.

Aujourd'hui, M. Paul Adam est dans tout son rayonnement et à la veille même de la gloire. Chacun de ses gestes, chacun de ses pas le rapproche de la bombarde prête à éclater, et s'il résiste au tremblement du coup de tonnerre, il sera roi et maître. Par cette bombarde, j'entends non la grande foule, mais ce large public ; déjà trié une fois, qui, insensible à l'art pur, exige néanmoins que ses émotions romanesques lui soient servies enrobées dans de la vraie littérature, originale, fortement parfumée, de pâte longue savamment pétrie, et de forme assez nouvelle pour surprendre et séduire. Ce fut le public de Balzac ; c'est le public que M. Paul Adam semble en train de reconquérir.

Le roman de mœurs (je laisse en dehors trois ou quatre maîtres que je n'ai pas à juger ici) est tombé plus bas que jamais depuis un siècle et demi qu'il fut importé d'Angleterre. Négligeant l'observation et le style, dépourvus d'imagination, de fantaisie et surtout d'idées, tant générales que particulières, les façonniers qui assument le métier de narrer des histoires ont déconsidéré la fiction au point qu'un homme intelligent, soucieux de loisirs dignes de son intelligence, n'ose plus ouvrir un de ses tomes et que les quais eux-mêmes se révoltent et s'indignent contre le flot jaune. M. Paul Adam a certainement souffert de cette crise de mépris : des lettrés mal informés ont cru longtemps que ses romans étaient pareils à tous les autres. Ils en sont très différents.

D'abord par le style : M. Paul Adam use d'une langue vigoureuse, serrée, pleine d'images, neuve jusqu'à inaugurer des formes syntaxiques. Par l'observation : son regard aigu pénètre comme un dard de guêpe dans les choses et dans les âmes ; il lit, comme la photographie nouvelle, à travers les chairs et à travers les coffrets. Par l'imagination qui lui permet d'évoquer et de vivre les êtres les plus divers, les plus caractéristiques, les plus personnels, il a, comme Balzac, le génie de donner à ses personnages non seulement la vie, mais la personnalité, d'en faire de vrais individus, tous bien dotés d'une âme particulière ; dans la Force du Mal, une jeune fille est ainsi posée et si nettement sous nos yeux qu'elle en devient inoubliable ; malheureusement son caractère fléchit à la fin du roman, trop brusquement résumé. Par la fécondité, enfin, fécondité non pas seulement linéaire et d'abattage de sillons, mais d'œuvres dont les moindres sont encore des œuvres.

Il a entrepris deux grandes épopées romanesques que son génie ardent et fier achèvera à l'état de monuments, l'Epoque et les Volontés merveilleuses. A lui tout seul il travaille comme une ruche, et au moindre soleil les idées abeilles sortent tumultueuses et se dispersent vers les vastes campagnes de la vie.

Paul Adam est un spectacle magnifique.

Paul Adam par J.-E. Blanche.

[ Entoilage : Lucie Couillard, Terminale Littéraire, le 10 mai 2001]

Je n'ai pas encore pu rencontrer, pour ma part, un seul lecteur qui ait pu aller jusqu'au bout d'un de ses livres. Je me rappelle encore le rire de Gourmont, quand il reçut de lui une lettre pleine d'effusions, en remerciant du chapitre à lui consacré dans un Livre des Masques, et dans lequel Gourmont avait écrit : « M. Paul Adam est un spectacle magnifique ». « Il est content, me disait Gourmont. Il croit que c'est vrai. Il n'a pas senti une minute l'ironie » (Léautaud, Passe-Temps).


2. R. de Bury, « Les journaux », Mercure de France , I-XI-1908, p. 139

Ermenonville (L'Echo de Paris Figaro, 17 octobre). — Sur M. Paul Adam (L'Action française, 6 octobre). — Anecdote académique (L'Intransigeant, 19 octobre).

Non, je n'en veux rien citer, de cet article de M. Pierre Lasserre sur M. Paul Adam, dans l'Action française. Cela me gêne un peu parce que j'aime beaucoup l'auteur de la Morale de France (ce livre est le prétexte), malgré que je ne l'entende pas toujours très bien. Il y a en lui un génie fougueux qui émerveille, et un optimisme que l'on regrette de ne point toujours partager. La vie doit être belle, lumineuse et riche pour qui peut écrire : « Cent poètes produisent aujourd'hui des œuvres meilleures que celles des Racine, des Musset et des Lamartine, égales presque à celles des Ronsard, des Hugo et des Heredia. » M. Lasserre cite ce jugement et s'en égaie. S'il était optimiste, il ressentirait peut-être une profonde émotion devant cette floraison inattendue de notre génie lyrique. Mais M. Lasserre n'est point optimiste. Il est spirituel, mordant, fin, satirique et un peu méchant : le critique dangereux par excellence, celui qui ne se laisse pas prendre aux apparences, celui qui veut voir le fond des choses. Aussi est-il très difficile de résister à sa méthode. Mais c'est la vraie, hélas ! Ce qui n'empêche pas que mon embarras ne soit très sensible. Tout compte fait, je prends parti pour M. Paul Adam, tout en couvrant de fleurs son critique, qui n'est peut-être si cruel que parce qu'il est trop intelligent.


2. « L'amour », Nouvelles dissociations , Editions du Siècle, 1925, pp. 57-58

L'AMOUR 

M. Paul Adam, qui prend dans le monde des lettres une place de plus en plus prépondérante, vient d'écrire un roman qui est aussi un pamphlet contre l'amour, auquel il reproche d'accaparer la sensibilité contemporaine au détriment des grands intérêts sociaux, qu'il pousse les hommes à négliger. Il ne semble pas pourtant que l'amour tel qu'on le comprend dans la bourgeoisie et le haut commerce soit de nature à oblitérer le sentiment des intérêts grands et petits. Les procès en rupture de fiançailles y sont de plus en plus fréquents et l'amour y est tarifé sur les exploits d'huissier à des prix qui, comme ceux de toutes choses, sont en hausse certaine. Du moins, rien n'y est oublié, depuis les petits cadeaux de sucreries jusqu'aux classiques fleurs et à l'estimation du temps perdu. Avoir fait la cour à ladite demoiselle : une heure chaque jour durant trois mois... Avoir pris une voiture quand il pleuvait... Avoir offert à ladite personne quatre-vingts (je dis 80) boîtes de chocolat (ce furent des fiançailles sucrées)..., etc.. Total : dix mille et je ne sais plus combien de cent francs. La demoiselle réplique et commence par estimer la valeur qu'elle a dilapidé elle-même au cours de ces amours malheureuses ; cela ne monte pas à moins de dix mille francs, mais malheureusement on ne donne pas de détail des faveurs que n'ont pas suffisamment payées les boîtes de chocolat. Passons. Le père de cette précieuse personne a offert au fiancé un coffre-fort ! Drôle de cadeau, mais il veut bien nous expliquer que c'est l'usage de la bijouterie. Dans cette corporation, on ne livre pas une fiancée sans coffre-fort. Ce n'est pas pour l'enfermer la nuit, puisque même dans la bijouterie, c'est surtout la nuit que... Alors ? Mystère. Et on dit que les vieux usages se perdent ? Enfin, par habitude de la balance commerciale, les deux notes de frais que présentent les huissiers réciproques sont à peu près identiques, et on plaide. C'est peut-être de l'amour tout de même, car

Amour, amour, quand tu nous tiens,
On peut bien dire : Adieu, prudence !

et l'on n'en a aucune contre le ridicule, dans la bijouterie.

Les Annales politiques et littéraires, 9 février 1902.

A consulter : Critique des mœurs