1. « Les Livres », Mercure de France, juin 1890

2. « Les Livres », Mercure de France, août 1890

3. « Maupassant », Épilogues, 1903

4. « Maupassant », Promenades littéraires, 1912


1. « Les Livres », Mercure de France, juin 1890, p. 223

L'Inutile Beauté, par GUY DE MAUPASSANT (Havard). — Qu'est-ce que la pensée humaine ? Cette question vient d'être résolue par M. de Maupassant : — « Une fonction fortuite des centres nerveux de notre cerveau pareille aux actions chimiques imprévues, dues à des mélanges nouveaux, pareille aussi à une production d'électricité créée par des frottements ou des voisinages inattendus, à tous les phénomènes enfin engendrés par les fermentations infinies et fécondes de la matière qui vit ».— (page 40). R. G.


2. « Les Livres », Mercure de France, août 1890, p. 300

Notre cœur, par GUY DE MAUPASSANT (Ollendorff). — George Sand, ayant fini un roman à trois heures du matin, narre quelque part un témoin effrayé et admirant, prit un autre feuillet, inscrivit un autre titre, Jacques, et, sans désemparer, sans une minute de réflexion, commença un nouveau volume. Exemple certainement mémorable de ce que peut la volonté jointe à du sens pratique et à de l'avidité industrielle : M de Maupassant est tout de même supérieur à la célèbre « danseuse de revue », sa philosophie, aussi vile, est moins naïve et ses œuvres sont moins ennuyeuses. Ce roman raconte d'éternels et nécessaires malentendus ; la conclusion en est assez dure pour les princesses, auxquelles le héros de l'histoire décidément préfère une petite bonne, toute simple, toute... — Ah ! toutes les femmes de chambre voleront le livre à leurs maîtresses. En somme, c'est une bonne lecture pour le wagon, la plage, le yacht... R. G.


3. « Maupassant », Épilogues. Réflexions sur la vie. 1895-1898, Mercure de France, 1903, pp. 178-179

Novembre [1897]

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Maupassant. — M. de Maupassant fut un écrivain fécond ; amusant, quoique monocorde ; agréable, malgré de l'amertume et une ironie très froide. Son style simple, clair, sage, fluide, ne surprit jamais ni ne découragea personne. On a lu ses romans ; peut-être relira-t-on quelques-uns de ses contes : il y en a de parfaits, dans leur forme soigneusement traditionnelle, perpétuellement voltairienne. Boule-de-suif a longtemps passé pour un chef-d'œuvre ; c'est une pièce fort adroitement montée et qui fait encore l'admiration des connaisseurs ; le vrai Maupassant était tout spontané : dès qu'il n'eut plus peur de Flaubert, il se laissa aller selon son génie, qui lui déconseillait les labeurs trop médités, les écritures trop volontaires. Il fit bien. Il faut toujours suivre son génie. Doué d'une faculté unique : conter, il conta, sans jamais s'arrêter pour réfléchir. Nul talent ne fut plus mécanique, plus fatal, ne se renouvela si peu. Il y a quelque chose d'attristant dans ce toujours la même chose, et on se demande si l'intelligence assume vraiment en de pareils hommes un rôle différent de celui qu'elle joue, pour nous confondre, en diverses manifestations zoologiques d'un illogisme indéchiffrable. M. de Maupassant fut un Jeu de la Nature, un des phénomènes de l'Inconscient les plus curieux de ce temps. Une femme rêve...


4. « Maupassant », Promenades littéraires, 4e série, Mercure de France, 1912, pp. 143-148

MAUPASSANT

Pendant les dix dernières années de sa vie, Maupassant eut à son service un homme excellent, intelligent et discret, nommé François. Pas si discret qu'il n'ait surpris beaucoup de détails appréciables sur la vie de son maître, mais assez discret pour n'avoir retenu que ce qui pouvait se conter tout haut, sans nuire en rien, bien au contraire, à la mémoire du romancier. Il apparaît tel qu'un de ces serviteurs que l'on voit en d'anciens romans, à la fois les domestiques et les amis de leurs maîtres, capables d'un bon conseil, d'une initiative heureuse. Valet de chambre, cuisinier, compagnon de route, François n'est pas le premier venu ; il a lu pas mal de livres, connaît bien l'œuvre de Flaubert, a beaucoup voyagé et observé les hommes. Il tiendrait, je crois, et fort avantageusement, la place de beaucoup de maîtres. J'ai lu tout entier son livre de souvenirs sur Maupassant et je l'ai trouvé fort agréable, écrit avec mesure, avec simplicité, sans rien qui rappelle la mauvaise littérature. C'est un document qui demeurera et que consulteront toujours avec plaisir et avec fruit les lecteurs de l'un de nos conteurs les plus parfaits. Rien d'exceptionnel en ces pages, les faits de tous les jours d'une vie de travail entrecoupée par de nombreux déplacements. Le livre nous promène de Fécamp, où Maupassant avait une maison de campagne, à Cannes, où demeurait sa mère, en Algérie et en Italie, selon l'humeur vagabonde du romancier qui promenait un peu au hasard sa mélancolie et ses pressentiments. Maupassant, dans ces dernière années, ne voyage pas, il se déplace d'un endroit à l'autre, comme un peintre en quête de paysages et de points de vue ; il cherche des impressions nouvelles pour ses romans, qu'il n'arrive pas pourtant à varier beaucoup, car le décor d'un roman est une chose de bien peu d'importance et le meilleur est celui que l'on connaît le mieux et non le plus rare. C'est quand il ne connaissait que Paris et la Normandie qu'il a écrit ses chefs-d'œuvre. Et puis, dans la dernière période de sa vie, il avait presque entièrement perdu les qualités sur lesquelles repose solidement son talent, la bonne humeur et la verve comique. Dans ses premiers contes, Maupassant domine son œuvre, dont il est entièrement le maître. A la fin de sa vie, on sent qu'il est dominé par elle, qu'il lui appartient et qu'il ne la regarde plus avec cette sérénité ironique, avec cette liberté qui faisaient sa force. C'est une évolution très curieuse, presque douloureuse à suivre : peu à peu il s'ensevelit sous ses créations et sa personnalité disparaît. Ce n'est pas dans Notre Cœur qu'il faut chercher le vrai Maupassant, c'est dans Boule-de-suif, dans la Maison Tellier, dans toutes ces histoires amusantes et merveilleuses qui atteignent et surpassent l'art des conteurs italiens. J'ai relu, il n'y a pas très longtemps, la Maison Tellier et j'ai eu l'impression que c'était du Molière, tout simplement. Il faut prendre cette histoire, un peu gaillarde, pour ce qu'elle fut réellement dans l'esprit de l'auteur, une farce dans le goût du Médecin malgré lui ou de M. de Pourceaugnac. Vu ainsi, ce récit, un peu suspect au premier abord, apparaît admirable de comique. L'inconscience de la matrone, ses grands airs, la scène du wagon, celle de l'église, la déconvenue des habitués, leur joie du retour, toute la nouvelle enfin est de l'art moliéresque par excellence et où on ne trouve pas, la moindre trace d'imitation. C'est évidemment ce qu'a donné de meilleur la littérature naturaliste, qui a toujours trouvé dans le comique ses meilleures inspirations, et dont les chefs-d'œuvre sont incontestablement la Maison Tellier, A Vau l'eau de Huysmans, et cet énigmatique Bouvard et Pécuchet de Flaubert, qui d'ailleurs les domine de très haut, qui représente, au-dessus de ces deux œuvres parfaites, mais petites, la grande comédie émouvante et cruelle. Ce qui distingue le comique naturaliste du comique moliéresque, c'est qu'il est empreint de sensibilité. Molière est sec et implacable sauf en ses dénouements assez insignifiants ; les autres laissent filtrer un sentiment de pitié qui ajoute à leur œuvre je ne sais quelle inquiétude. M. Folantin, dans A Vau-l'Eau est aussi lamentable que comique. Ce n'est pas sans émotion que l'on entend pleurer, pendant la communion, le filles de Mme Tellier. Quant aux deux bonshommes de Flaubert, leurs perpétuelles déconvenues dépassent le comique et font réfléchir mélancoliquement.

La réputation de Maupassant augmenta comme son talent décroissait. C'est l'ordinaire. Les écrivains y trouvent une certaine consolation à la vieillesse, s'il en est une. C'est aussi à ce moment qu'affluent autour d'eux les femmes, celles qui ne peuvent comprendre la littérature qu'en la touchant de leurs mains et de leurs lèvres. Ah ! c'est bien pour elles que l'Eglise inventa la communion. Il leur faut le maître sous les espèces, non de l'esprit, mais de la chair, et elles y ajoutent parfois le sang. Elles vinrent donc et elles communièrent si abondamment de M. de Maupassant que parfois ses déplacements n'eurent pas d'autre cause : fuir ! François est assez discret sur les aventures amoureuses dont il fut le témoin et, quoiqu'il se rendît bien compte du mal que les femme faisaient à Maupassant, il n'a de mots amers que pour une grande dame russe, qui ne fut pas sans avoir sur l'état de son système nerveux une assez fâcheuse influence. Sur la fin de sa vie, il ne fréquentait plus guère que la haute société des riches cosmopolites, et c'est dans ce milieu qu'il faisait ses conquêtes, dont il était aussi la proie. Il en était fier et, peu à peu, en vint à un degré d'orgueil qui lui faisait mépriser le reste du monde. Sur la table de son salon, à Paris, il n'y avait qu'un livre, l'AImanach de Gotha, qui contient, comme on sait, la filiation de toutes les maisons souveraines et princières d'Europe. Dans ce moment-là, il était aimé d'une altesse, lui, l'ancien employé de ministère, l'ancien canotier de la Grenouillère, et sa vanité, plus que son cœur, probablement, en était démesurément flattée. Son maître Flaubert avait fini par souffrir du contact de la bêtise, au point qu'il s'était cloîtré dans sa chambre et dans son jardin de Croisset. Maupassant la supportait allègrement, la recherchait, preuve que sa sensibilité était fort émoussée. L'habit rouge était alors fort à la mode parmi les jeunes dandys ; Maupassant, qui n'était plus de la première jeunesse, revêtit l'habit rouge et il eut l'idée de se faire peindre ainsi, la main sur son Gotha ! Du moins était-il resté dans cette attitude pour Huysmans, auquel il était apparu un soir, ainsi travesti. Il ne parlait plus que dîners, réceptions mondaines, villes d'eaux et Côte d'azur. Est-ce une évolution naturelle ou faut-il en rendre responsable les troubles cérébraux dont il allait subir l'atteinte mortelle ? Cette dernière hypothèse est la plus probable. Il ne s'appartenait plus, il n'avait plus la force de réagir contre des tentations vulgaires, à force d'être trop distinguées. La vulgarité, d'ailleurs, avait toujours été au fond de ce garçon intelligent, mais sans culture véritable, et son œuvre s'en ressent beaucoup. Fréquemment, il la surmonte par sa bonne humeur, mais à la moindre défaillance elle reparaît, l'enveloppe et le submerge. C'est pourquoi il ne faut presque rien lui demander en dehors de la veine comique. Ses romans de passion mondaine, encore qu'ils soient d'une lecture agréable, sont bien superficiels et presque aussi arbitraires que ceux de M. Bourget. On sent trop qu'il écrit pour une clientèle et non pour se plaire à lui-même. Ils se passent dans un milieu qu'il n'a connu qu'assez tard et dont il est dupe, quoiqu'il soit bon observateur. Aucun de ces derniers livres n'a la moindre chance de durée, de ses contes on tirerait bien un ou deux volumes très bons, l'un des histoires un peu gaillardes, l'autre des récits plus modérés, que l'on se transmettrait éternellement. Mais le moment n'est pas venu. On peut encore lire tout Maupassant.


A consulter :

Maupassantiana