SÉVIGNÉ EN BRONZE

Au fait, est-ce en bronze, est-ce en marbre que se dresse à Vitré, depuis hier, son effigie ? Les gazettes que j'ai lues ont négligé de nous le faire savoir, mais elles nous communiquèrent des morceaux de l'éloquence qu'elle inspira. Un académicien regretta qu'elle n'ait pas été de l'Académie française non plus que telle de ses illustres contemporaines, mais ce n'était pas la mode, et ce ne l'est pas encore. Mais n'est-ce pas curieux que, devant un monument littéraire, d'un homme aussi bien que d'une femme, l'Académie ait toujours le même regret à formuler ? Celui-là au moins eut une tournure galante. Du train que vont les affaires féministes, qui sait si le moment ne viendra pas où, inaugurant la statue d'un poète célèbre, quoique mâle, une académicienne regrettera à son tour que les nouveaux règlements aient exclu les hommes de l'Académie. Nous ne verrons pas prochainement une aussi grande révolution, mais il semble difficile d'en retarder l'aurore. Les femmes feront le reste : C'est bien leur tour de régenter les esprits et donner des modèles que les écoliers recopient en pensums.

Mme de Sévigné en fournit beaucoup, surtout dans les pensionnats et lycées de filles, et c'est peut-être la gloire la plus durable. On pourrait dire du pensum ce qu'on disait jadis du bœuf gras ou du bonhomme en pain d'épice. On n'est pas grand chose aux yeux de la postérité lorsqu'on n'est point passé à l'état de pensum. Voilà à quoi aboutissent tous les rêves, toutes les grandeurs littéraires, à devenir pour les petits garçons et pour les petites filles une torture, un effroi. Que de jeunes élèves vont considérer avec peine la lettre sur les foins, qui est pourtant jolie ! Elle n'a été longtemps que cela pour moi. Mme de Sévigné, une boîte à verges. Depuis, j'ai changé d'avis (Le Puits de la vérité, Albert Messein, 1922).