1. R. de Bury, « Les Journaux », Mercure de France, 1er septembre, 1908

2. R. de Bury, « Les Journaux », Mercure de France, 1er août, 1909

3. « Echos : Notes stendhaliennes », Mercure de France, 1er juin, 1914

4. « Les revues : Le Divan : à propos du Stendhal-club ; liste de ses membres dressée par M. A. Paupe », Mercure de France, n° 410, 16 juillet, 1914

5. R. de Bury, « Les Journaux », Mercure de France, 16 mai, 1916

6. R. de Bury, « Les Journaux », Mercure de France, 16 novembre, 1919

7. « Bibliophilie : Notes sur Stendhal : Qu'est-ce que le Stendhal-Club ? », Chronique des lettres françaises, n°4, juillet-août 1923

8. « Les Clubs. — Contradictions », Les Livrets du Mandarin, rédigés par René-Louis Doyon, 2e année, n°9, A la Connaissance, s.d.

9. P.-J. Richard, « Un Stendhalien du XIXe siècle. Adolphe Paupe », Le Cerf-Volant, n° 19, octobre 1957


1. Robert de Bury, « Les Journaux », Mercure de France, n° 269, 1er septembre, 1908

Stendhaliana : les papiers de Stendhal (L'Action française, 11 août). — Le Stendhal-Club (Le Temps, 16 août).

Il n'est plus guère question que de Stendhal dans les chroniques littéraires des journaux. Stendhal est à la mode. Stendhal est un sujet favori de dissertation. Nos plus éminents critiques, les Paul Souday, les Gaston Deschamps, luttent avec M. Paupe de perspicacité stendhalienne, et M. Bélugou, du Stendhal-Club, les considère avec étonnement. Ce club, toujours mystérieux pour bien des curiosités, ne l'est plus pour M. Deschamps. Il n'en fait pas encore partie, mais il postule non sans de très sérieuses chances d'admission. Cependant M. Chéramy est-il pour lui ? Tout est là. En attendant, il nous donne du cénacle cette psychologie, qui est peut-être prématurée (Le Temps) :

On ne s'ennuie donc pas au Stendhal-Club. On s'y amuse au contraire. Et c'est un avantage que beaucoup de sociétés soi-disant littéraires pourraient envier à ce cénacle de gens d'esprit. On s'y indigne peu, et seulement contre les gens ennuyeux — ces gens qu'un grand seigneur du dix-huitième siècle, le duc de Lauraguais, voulait poursuivre devant le parlement de Paris pour « tentative d'homicide ». Les sinistres « raseurs » y sont honnis. On aime à y redire celte vérité qu'un jour formula Stendhal, à savoir : que la nation française n'a peur de rien, excepté du bâillement. On y pense que si d'aventure on est obligé de vivre avec des sots ou avec des pédants, on doit se consoler et se divertir en les considérant du côté comique. Quand on mène une vie bête à pleurer, on a toujours la ressource de mourir de rire. Et ce serait, après tout, un genre de suicide tout à fait stendhalien.

J'imagine qu'au Stendhal-Club on glose avec une verve irrévérente sur les mille et une contradictions qui dans les événements du jour...

On y parle également un peu de votre candidature, Monsieur, et je ne vous cèlerai pas que votre article a fort indisposé contre vous l'un des personnages les plus cyniques de la maison (où ils le sont tous, comme vous l'avez deviné). M. Paupe vous dira le reste.

Mais voici de M. Lasserre, dans l'Action Française, un article substantiel sur celui qu'il appelle tout d'abord "le plus honnête homme des grands hommes de lettres du dix-neuvième siècle" :

Le dépouillement des paperasses considérables qu'il a laissées est loin, paraît-il, de toucher au terme. Un moment viendra sans doute où il y aura lieu de n'y plus mêler le public, où la mesure sera comble. Ce moment est-il proche ou lointain ? Je confesse n'avoir encore rien lu de Stendhal (et je pense en avoir lu) qui m'ennuyât. Il y a dans ces matériaux sans nombre d'autobiographie et de mémoire bien des dires de très peu de prix pour qui n'en considère que le poids de la substance ; mais Stendhal donne à tout un piquant unique. Qualité impossible à démontrer. On la sent ou on ne la sent pas. On est « mordu », comme disait Sainte-Beuve, ou on ne l'est pas. On goûte, dans ces mille riens de l'impression, du sentiment, du souvenir que Beyle jetait au jour le jour sur le papier, la pulsation d'une individualité inimitable, ou bien (et c'est le cas, je vous assure, de très bons esprits) on ne voit dans le sort fait à ces riens par une plume infatigable qu'entêtement et affectation. Voici du moins une manière où dogmatiser ne convient pas. Je me bornerai à dire que, comme mon éminent confrère Paul Souday, j'ai toujours trouvé la lecture du Journal, des Souvenirs d'égotisme, de la Vie d'Henri Brûlard, « délicieuse ».

Peut-être tout le monde s'accorderait-il dans un jugement dont la teneur serait à peu près la suivante. — Par le Rouge et le Noir, par ce chef-d'œuvre d'une telle acuité et d'une telle solidité d'analyse historique et sociale, d'une invention si délicate, si précise et si riche dans les passions, d'une unité et d'une dégradation si fortes, d'une poésie d'atmosphère si orageuse, si chaude, et cependant si juste, d'une langue, après tout, si bonne, Stendhal se place au rang de nos plus grands auteurs, dans le courant de la plus grande, et je dirai, de la plus normale littérature française. — Par ses confessions personnelles (sous toutes formes), par l'étude de ses propres sentiments et ses notations incessantes de lyrisme analytique, par tous les journaux de bataille, pourrait-on dire, de cette « chasse au bonheur », où il s'entêtait d'allier le train d'un dragon (il l'avait été) aux complications, aux exigences et aux empêchements d'un élégiaque héroïque, par le détail de ce procès, de ce règlement de comptes perpétuel et non sans objet, certes, avec sa propre sensibilité, Beyle est matière de curiosité et d'exception ; il nous est, si l'on veut, un vice, le plus exquis de nos vices littéraires. — Et enfin, la Chartreuse de Parme, ce troisième élément de sa gloire, participerait des deux genres. Egale au Rouge par la profondeur de la peinture et de l'analyse, supérieure même en ce sens que la matière, touchant à la haute politique, est plus difficile et plus rare, il me semble qu'elle n'en a pas l'unité de tenue, la maîtrise et le mérite de construction. La personnalité, le bon plaisir de l'auteur, ouvrent au développement bien des issues qui nous mènent en des pays ravissants, mais qui ne sont pas nécessaires. Il n'y a pas dans le Rouge, un Ranuce-Ernest, une comte Mosca, une duchesse Sanseverina, et je conçois qu'on dise que ces figures, filles à la fois, les deux dernières du moins, de la poésie, de l'humour et de la réalité, sont les sommets de l'invention stendhalienne. Mais le héros de la Chartreuse, Fabrice, ne vaut pas esthétiquement Julien Sorel. J'y vois une création plutôt lyrique qu'analytique et intellectuelle, du lyrisme d'ailleurs le plus sobre et, pour ainsi dire, le plus serré.

Et voilà pourquoi, dans cet essai de jugement conciliateur, je mettrais la Chartreuse à cheval sur les deux domaines, sur celui de la grande littérature naturelle et vraie et sur celui de la fantaisie, de la grâce pure, et du fougueux caprice. Plus sur le premier ou plus sur le second ? A votre choix.

§

Mais je vois se dresser devant moi un censeur redoutable. Il a la voix et le geste impérieux de Brunetière. Hé quoi ! monsieur le critique, vous appelez vice littéraire cette prédilection de certains pour le bavardage autobiographique d'Henri Beyle et vous avouez la partager. Ayez ce vice, appelez-le exquis, si la déliquescence de votre esprit va au point de produire ces intolérables alliances de mots. Mais alors ne faites pas de la critique. Et s'il vous est peut-être arrivé à vous-même de dresser un réquisitoire, d'ailleurs juste, contre l'individualisme de la littérature romantique, contre l'hypertrophie romantique du moi, quelle différence, de grâce, faites-vous entre cet individualisme idolâtrique et l' « égotisme » de Beyle ? (J'emprunte au Manuel de littérature française de Brunetière la substance de ce discours.)

Et voici ma défense. Le « Moi » est, en effet, l'unique sujet des poètes romantiques en vers ou en prose. Quand ils le disent comme Lamartine, dans ses premières élégies, c'est merveille ! Mais ils imitèrent de Rousseau et ils intensifièrent, tant qu'ils purent, l'habitude de ne point le dire et de baptiser ce personnage des noms les plus emphatiques. Ils l'appelèrent Dieu, le Bien, le Beau, l'Idéal, le Ciel, la Justice, ou encore l'Avenir et à ces divers titres, sous ces divers vocables, l'érigèrent en juge, en damnateur hautain de la Société dont l'ordre avait le tort de n'être pas coordonné au cri de leurs désirs et aux soupirs de leur cœur. Ils mirent cette doléance en pseudo-drames, pseudo-romans, pseudo-épopées, pseudo-symboles, qui ne sont que de l'élégie monstrueusement boursouflée.

Beyle, au contraire, quand c'est moi, dit moi. Ses confidences intimes et ses œuvres d'art sont deux. L'idée qu'il a de ses désirs et l'idée qu'il a des lois de l'univers, de la société, de la nature humaine, sont deux, c'est un artiste littéraire loyal, véritable. Dans ses romans, il se règle sur la vérité ; ses peintures ne connaissent, autant qu'il est possible, d'autre inspiration que la philosophie naturelle, à laquelle toute œuvre romantique est un outrage. C'est l'énergie d'accent de la nature qui, comme artiste, l'émeut et l'enthousiasme. Et quant au moi de Beyle, puisque tant il nous est donné d'y pénétrer, certes, il est infiniment, je dirai ridiculement préoccupé du bonheur. Mais ce bonheur, il ne le conçoit, ne le rêve pas en contradiction avec la société ; il l'imagine plutôt comme la jouissance du plus parfait naturel dans la sociabilité la plus parfaite. Je ne dis pas qu'il ne fût pas aussi rêveur que les romantiques ; je dirai même qu'il l'était bien plus, étant plus naïf ; mais il l'était dans le sens de la civilisation.

Aimable Beyle ! Faux cynique ! Sentimental étonnant, timide, avec un esprit infernal ! Certes, nul n'a parlé plus crûment des choses de l'amour ; certaines de ses lettres racontent des historiettes si grasses qu'on ne les peut imprimer. Et pourtant, féru, toute sa vie, du bonheur par le sentiment, nul ne ressembla moins que lui à Don Juan ou à Valmont. Pensait-il comme eux, cet ancien sous-lieutenant de dragons, nourri des idéologues du dix-huitième siècle, qu'il y a dans toute place de guerre, même la mieux fortifiée, un point, parfois très secret, mais toujours accessible à un assiégeant, très patient et très habile, par où elle peut être prise ? Probablement. Mais il n'était pas assez ennemi de lui-même, tel qu'il était fait, pour se montrer capable de ces sièges-là. Il savait qu'on entre dans la place, mais qu'on n'en a pas les trésors ; que ceux-ci s'obtiennent, mais ne se forcent pas. Et il voulait les trésors dans un état de pureté idéale ! Dans son Journal, il aime régler d'avance le détail d'une opération, et il se prescrit à lui-même : Attaque ! attaque ! attaque ! mais c'est un fait qu'au chapitre de ses vrais bonheurs il n'a inscrit que des soupirs, des bonheurs manqués.

M. Lasserre ne dit pas, pour conclure, que cette sentimentalité exquise, « si difficile à satisfaire », soit un principe moral. Mais il croit que « si on en pratiquait exclusivement les exigences, ses résultats équivaudraient à ceux de la morale la plus rigoureuse ».

Voilà une question dont Stendhal se serait peu soucié, mais l'article, je pense, l'eût fait réfléchir.

R. DE BURY.


2. R. de Bury, « Les Journaux », Mercure de France, n° 292, 1er août, 1909

M. Paupe, dans l'Intermédiaire, nous parle du Stendhal-Club :

Dans la préface des Soirées du Stendhal Club (1re série, 1904), M. Léon Bélugou a parlé de cette « mystérieuse confrérie » en des termes d'une évidente modestie. Cela s'explique par ce fait que M. Bélugou est un des membres les plus distingués du S. C. Mais tout le monde sait aujourd'hui que M. Casimir Stryienski, universellement connu, est le Président d'honneur de cette association tacite et restreinte, qui compte parmi ses élus, outre le signataire des Petits Mardis Stendhaliens, M. Paul Guillemin, auteur de l'Imagerie de Stendhal entr'bâillée, M. Paul Arbelet, l'évocateur attendri de Métilde et de Pauline, dont les exhumations sont incessantes, M. Jean de Mitty, qui se repose sur les lauriers de Napoléon et de Lucien Leuwen, etc., etc. Si nous rappelons les titres de quelques sociétaires du S. C., c'est qu'une des conditions d'admission, d'ailleurs facile à remplir, est la publication d'une œuvre stendhalienne d'un intérêt ou d'une documentation remarquables : c'est l'unique cotisation. C'est ainsi que Miss Doris Gunnell, aimable conquête du beylisme, fut reçue dernièrement à l'unanimité, du fait de sa thèse doctorale sur Stendhal et l'Angleterre — alors que M. Jean Mélia, pourtant animé d'excellentes intentions, hésite à se présenter.

Les réunions du Stendhal-club n'ont pas lieu d'une façon régulière et dans un endroit déterminé ; elles sont soumises au hasard des circonstances et des saisons : une séance mémorable fut celle du 9 juillet 1905, clos Madame, rue Porto-Riche, à Meudon, en pleine verdure. La Bibliothèque du S. C. ne laisse rien à désirer sous aucun rapport, mais elle est un peu disséminée. Les éditions originales du Maître, lui ayant appartenu, et bon nombre de ses manuscrits sont précieusement conservés à la Présidence, rue Soufflot ; les éditions courantes, étrangères et illustrées, ainsi que la critique de tous les temps, s'entassent aux archives de la rue des Abbesses et l'iconographie, jointe à 1.800 documents de toutes sortes, se trouve actuellement sur les Alpes, aux environs de Briançon, dans un castel, aménagé par M. Guillemin pour y recevoir ses trésors.

Ajoutons que l'archiviste du Club, qui est M. Paupe lui-même, possède également une curieuse iconographie stendhalienne.

A bientôt la suite de ces révélations sensationnelles.

R. DE BURY.


3. « Echos : Notes stendhaliennes », Mercure de France, n° 407, 1er juin, 1914, p. 664-665

Notes stendhaliennes. — L'édition Champion des Œuvres complètes de Stendhal porte, entre les pages 48 et 49 de la Vie de Henri Brulard la reproduction photographique du folio 69 du manuscrit. Sur ce folio un mot était jusqu'à présent demeuré illisible. Mais voici la lettre qu'a reçue à son sujet M. Adolphe Paupe :

Monsieur,

Puisque rien de ce qui concerne Stendhal ne saurait vous être indifférent permettez-moi de vous signaler un mot du manuscrit de la Vie de Henri Brulard resté jusqu'à ce jour indéchiffré.

C'est le 2e mot de la 8e ligne du folio 69 (folio reproduit entre les pages 48 et 49 de l'édition Champion).

Il faut le lire bouquins.

Et la phrase devient :

« Ces bouquins de droit avaient appartenu à M. de Brenier, etc... »

Au lieu de :

« Ce..... de droit avait... etc... »

qu'adopte M. Henry Debraye.

Il s'agit des livres qui tapissaient le cabinet du père de l'auteur. En effet, Stendhal semble avoir été vivement frappé par la vue de ce qu'il nomme des « In-folio funèbres, horribles à voir » deux lignes plus haut.

Et maintenant oserai-je abuser de votre compétence sur tout ce qui touche à Stendhal, en vous demandant un renseignement que seul, peut-être, vous pourriez fournir. Voici :

Dostoiewski a-t-il connu l'œuvre de Stendhal ?

Il n'en est fait nulle mention dans la correspondance traduite par Bienstock, ni, à ma connaissance, dans ses autres écrits. Mais peut-être avez-vous, à défaut de la mention de Stendhal dans l'œuvre de Dostoiewski, quelque document établissant qu'il a lu ou possédé le Rouge et Noir.

Cela expliquerait certaine parenté entre ces deux génies de tempéraments si radicalement opposés.

Excusez, Monsieur, l'indiscrétion d'un inconnu que son culte pour Stendhal a fait votre correspondant et croyez à ses meilleurs sentiments.

JACQUES FONTAINE,
(Etudiant en droit.)

L'explication de M. Jacques Fontaine paraîtra certainement concluante.

En ce qui concerne Dostoïewski, les archives du Stendhal-Club, sur lesquelles M. Paupe veille avec un soin que nul n'ignore, ne contiennent aucun renseignement. Peut-être un lecteur du Mercure comblera-t-il cette lacune.

Voici la liste officielle du Stendhal-Club, telle qu'elle a été imprimée sur le papier et dans les caractères spéciaux des Œuvres complètes de Stendhal. Elle est datée d'avril 1914. D'autres noms viendront certainement s'y ajouter plus tard :

Fondateurs : Maurice Barrès, Léon Bélugou, Paul Bourget, Francis Chevassu, André Maurel, Casimir Stryienski, Jean de Mitty ;

Président : Remy de Gourmont;

Vice-Président : Paul Guillemin ;

Membres : Paul Arbelet, André Billy, Samuel Chabert, Edouard Champion, Henry Debraye, Gustave Geffroy, Jean de Gourmont, Doris Gunnell, Emile Henriot, Paul Léautaud, Henri Martineau, Daniel Muller, Lucien Pinvert, Paul Signac, Casimir de Woznicki, Emile Zavie ;

Archiviste-trésorier : Adolphe Paupe ;

Imprimeur : F. Paillart.


4. « Les revues : Le Divan : à propos du Stendhal-club ; liste de ses membres dressée par M. A. Paupe », Mercure de France, n° 410, 16 juillet, 1914, p. 390-391


5. R. de Bury, « Les Journaux », Mercure de France, n° 430, 16 mai, 1916, p. 327


6. R. de Bury, « Les Journaux », Mercure de France, 16 novembre, 1919, p. 336-337

M. Henri Martineau, dans le Gaulois, nous donne une petite notice sur ce que fut le Stendhal-Club, né d'une fiction, et sur sa future réorganisation.

Un Stendhal-Club, organisé en académie beyliste, ce ne fut jamais, il faut nous y résigner, qu'une fiction ou une mystification. Et pourtant… Au club qu'il avait rêvé, Stryienski invita Paul Arbelet. Et ce fut vers le même temps qu'ayant inauguré avec le mystérieux M. Coffe la première chronique stendhalienne, Remy de Gourmont réunissait, rue des Saints-Pères, les plus renommés belyistes de l'heure. Les chapelles ne manquèrent jamais où les curieux du Milanese brûlaient à l'envi leur encens. Il est inutile d'insister davantage sur la dernière, ni de rappeler avec quelle inépuisable bienveillance M. Paupe y accueillait, rue des Abbesses, ses amis et ceux de Stendhal. Là, s'il faut en croire M. André Billy, Remy de Gourmont, à la mort de Casimir Stryienski, fut nommé président du club. Mais l'historiographe ne mélodramatise-t-il pas un peu, quand il fait procéder à cette élection les ombres de tous les stendhaliens passés ? C'était à une époque où un peu de macabre faisait encore sourire. Aujourd'hui… Aujourd’hui, Remy de Gourmont et A. Paupe, tous les deux, ne sont plus. Cet imaginaire Stendhal-Club en demeure découronné.

Ne retrouvera-t-il jamais sa renommée d'antan ? De nouvelles élections sont indispensables à la veille du jour où va repartir la belle édition des œuvres complètes du maître. Et Miss Doris Gunnell annonce son intention de passer le channel pour venir voter. Sur la liste de M. Paupe elle est la seule femme membre du club. (Nulle autre, sans doute, n'a écrit sur Beyle un aussi remarquable livre.) J'ignore à qui iront ses voix. Mais déjà quelques beylistes diligents s'inquiètent des deux sièges à pourvoir. Je crois pouvoir affirmer que leur choix se portera, pour la place d'archiviste, sur Daniel Muller, aussi modeste que savant commentateur de l'œuvre stendhalienne. Comme président, qui pourrait-on nommer en dehors de Paul Arbelet ? N'est-il pas l'homme qui connaît le mieux Henri Beyle, ses avatars et ses plagiats ? Et s'il est à la tête du club, il ne pourra plus démentir son existence.

Le Stendhal Club continue d'être la plus mystérieuse des sociétés secrètes. Il est à la fois une spirituelle fiction et la plus réelle des réalités, puisque demain les membres du club vont se réunir pour élire un président et un archiviste-trésorier.


7. « Bibliophilie : Notes sur Stendhal : Qu'est-ce que le Stendhal-Club ? », Chronique des lettres françaises, n°4, juillet-août 1923, p. 739-740

Qu'est-ce que le Stendhal-Club ? — Il a été question de fonder un Anti-Stendhal-Club, nouvelle confirmée par une enquête de M. Gaston Picard : il s'agit d'une revision des valeurs.

Mais qu'est-ce que le Stendhal-Club ? Un club qui n'existe pas. M. Emile Henriot fit, il y a une dizaine d'années, une petite enquête, dont le résultat parut au Divan. Les uns se prononçaient pour l'affirmative. Le Stendhal-Club existait puisqu'on en parlait. Remy de Gourmont en était le Président, ayant succédé au fondateur, Casimir Striyenski, auteur de deux volumes de Soirées du Stendhal-Club. Le trésorier en était l'archiviste Adolphe Paupe, une des lumières du beylisme, éditeur de la Correspondance et auteur d'une Vie littéraire de Stendhal et de l'Histoire des œuvres de Stendhal.

Rémy de Gourmont n'avait pas nié être le Président du Stendhal-Club, ni avoir pour trésorier Adolphe Paupe. Ce dernier, qui possédait dans deux profondes armoires, pompeusement intitulées « Archives du Stendhal-Club », les éditions, les manuscrits de l'auteur du Rouge avec mille curieuses et cocasses reliques, croyait dur comme fer à la réalité du club dont il était trésorier bien qu'il n'y eût point de caisse.

Paul Arbelet découvrait la mystification : » Vous n'en doutez pas, je pense, écrivait-il, le Stendhal-Club n'a jamais été qu'une spirituelle fiction. Casimir Striyenski en est l'inventeur. Il imagina de raconter les séances du club ; il en publia les soirées ; je l'y aidai moi-même. Et, depuis, maints beylistes, infidèles au principe de leur maître, qui est de se méfier toujours, ont pris au sérieux cette fantaisie... Le Stendhal-Club n'existe point, il n'a jamais existé. Son existence est purement idéale. Il faut, pour y pénétrer, plaire à l'ombre de Stendhal, faire partie de ces happy few, de ces âmes compréhensives pour lesquelles seules il écrivait... »

Adolphe Paupe fit malencontreusement cesser le mystère en publiant une liste des membres du Stendhal-Club, à la date d'avril 1914. Du coup le Stendhal-Club cessa complètement d'exister, avant même d'avoir été. Puis la guerre vint, qui apporta d'autres soucis. Aujourd'hui, c'est contre le fantôme d'une ombre que les antistendhaliens entreprennent donc leur croisade. (Emile Henriot, Le Temps, 25 septembre 1923).


8. « Les Clubs. — Contradictions », Les Livrets du Mandarin, rédigés par René-Louis Doyon, 2e année, n°9, A la Connaissance, s.d.

Les Clubs. — Contradictions.

La Société littéraire assiste à une poussée de clubs ! On en annonce ; on en parle, on voit les mêmes profils dans l'ombre de ces organisations. On parle d'un club-Huysmans ; on publie déjà les doctes entretiens d'un club de grammairiens. Hier on fondait l'Association des Amis de Péladan ; demain on fondera le club Jules Laforgue, déjà fortement hypothéqué. Les Goncourt sont servis puisque le club est une académie à la porte de quoi Camille Mauclair — et son sac de lamentations — Pol Neveux et des ciseaux bien tranchants en poche, ont piaffé comme de jeunes poulains prêts à sauter l'obstacle. On verra naître le club de Barbey d'Aurevilly et puis celui de Remy de Gourmont. Rien de jacobin dans ces clubs ; des contrefaçons d'Académie sans doute mais avec un patron, une sorte de saint littéraire qu'on loue et qu'on chôme ; s'il y a un saint, il y a un culte ; et ces pratiques se célèbrent dans des chapelles ; nous aurons donc des officiants, des sacristains et des pontifes; cela surtout est redoutable. Quant à la mémoire du héros ainsi célébré, il a tout à gagner; les clubmen beaucoup à y prendre. Une lacrymoyante ânerie du bon Sully Prudhomme est ce vers pompeux et cornélien :

Les hommes ne sont bons et justes qu'en foule.

Il est permis de dire en toute logique exactement le contraire. Sans une vertu supérieure, un groupe d'hommes est un troupeau qu'il faut conduire. Les hommes intelligents font-ils mieux en s'agrégeant ? On en parlera un jour.

Nos clubs littéraires contemporains ont une origine, un paradigme, un prototype; c'est le Stendhal-club. Or, le croirait-on, cette association est mythique; son existence fut purement fictive ; ce qu'en on dit les chroniqueurs est crédulité. Le mandarin s'y est laissé prendre ; en 1921, il écrivait à M. Paul Arbelet, primat ès-connaissances Stendhaliennes et le recteur honoris causa de cette université qui compte comme podagre et sacristain Royer et Martineau, répondit par cette lettre qu'un désordre heureux permet de retrouver :

Je vois quelques difficultés à reprendre les soirées du Stendhal-Club, comme vous le proposez, pour cette raison très simple que le Stendhal-Club n'a jamais existé, c'est une ingénieuse fiction littéraire de C. Stryienski.

Plus tard Paupe s'en empara ; il y insista, avec une certaine lourdeur ; il se fit faire des cartes portant le titre qu'il trouvait flatteur de « bibliothécaire du Stendhal-Club »; il dressa même de sa propre autorité et suivant son caprice, une liste des membres du club.

Depuis le nombre des Stendhaliens a beaucoup grandi ; ils sont une foule, ils sont presque la foule. Sans doute beaucoup d'entre eux ont toute l'intelligence et le goût qu'il faut pour comprendre Henry Beyle. Mais ont-ils pour cela le besoin d'un club ? Leur sympathie commune suffit pour les rapprocher quand ils y trouvent du plaisir. Est-il nécessaire, pour nourrir un sentiment aussi délicat, de créer un cercle fermé qui risquera de devenir bien vite une petite secte de fanatiques, nécessairement ridicules, ou une coterie, intéressante seulement pour qui a plus d'ambition que de talent ?

Laissons donc au Stendhal-Club son existence purement idéale. Chacun pourra s'y mettre d'abord, s'il lui plaît, et le composer ensuite à sa fantaisie. C'est un grand avantage.

Voilà de nobles paroles. Il faut un certain donquichotisme pour croire aux bienfaits d'un groupe ; et sans le Stendhal-Club, nous savons que les Stendhaliens en particulier, ont réintégré le libre et européen Stendhal dans sa Cularo et que les garnisaires ont l'œil et la dent. On sait qu'invité par déférence à préparer l'édition des Chroniques Italiennes à La Connaissance, L. Royer m'envoya aux galères et que je dus accomplir une besogne intéressante à quoi rien ne me préparait ; mal m'en prit; M. Royer en perdit trois dents, en eut le regard torve et y gagna une constipation inguérissable et le boutiquier Martineau aux yeux de Perse me traita d'épicier ; rien que cela ! Le premier coupa cyniquement dans une revue grenobloise toute la partie d'un article faite sur mes travaux ; le second reçut cette récompense :

Le Livre ayant, dans sa collection si variée : Le Livre du Lettré, présenté L'abbesse de Castro, me demanda la préface ; j'avais établi que cette tumultueuse nouvelle avait été démarquée et transformée en un horrible mélo un an après sa publication dans la Revue des Deux Mondes, sans soulever une seule protestation de la presse. II y en avait pourtant une excellente et timide de feu le critique Old Nick alias de E. D. Forgues, paru dans Le Commerce (4, 1, 1840). L'épicier que je suis, lis peu les journaux d'affaires ; le boutiquier Martineau le lui fit bien sentir, et grâce à son invective fraternelle, je comblais avantageusement une lacune de mes premières recherches. Il y avait différents moyens de bénéficier de l'injure du sha Martineau ; Stendhal, farceur à ses moments, m'en suggérait plusieurs ; j'aurais perfidement loué l'amabilité de Thomas Martineau ; plus simplement, voici la note par quoi j'ai signé ma dette en citant l'article du Commerce : Je dois cette consultation au plus gracieux des stendhalisants Martineau. Vous entendez : gracieux paie épicier ; et stendhalisants tue stendhaliens.

Ah ! que M. Paul Arbelet est clairvoyant et énergique ; lui qui empêcha le battage ridicule organisé par la cohorte pour la tombe d'Arrigo Beyle milanese et qui, en définitive, met un frein décent aux fureurs des stendhalisants professionnels, les plus redoutables garnisaires d'un Club inutile [..].

[Entoilage : Elise Œuvrard, terminale littéraire, 3 mai 2001.]


9. P.-J. Richard, « Un Stendhalien du XIXe siècle. Adolphe Paupe », Le Cerf-Volant, n° 19, octobre 1957.

[...] En ce temps là, tous les rédacteurs du « Mercure de France » étaient stendhaliens. Paupe était un assidu de la rue de Condé où il retrouvait ses grands amis : Remy de Gourmont, Paul Léautaud, Jean de Gourmont, et beaucoup d'autres, sans oublier les hôtes de l'endroit : Vallette et Rachilde, sa femme.

En retour, Remy de Gourmont qui, cependant sortait peu de son quartier, venait de temps à autre trouver Paupe à son bureau, 23, rue de Londres, pour un renseignement ou un article du Mercure. Il était toujours accompagné de son frère Jean ou de Paul Léautaud, car il n'aimait pas s'aventurer seul sur la rive droite. Parfois, Paupe m'appelait par téléphone et j'allais bavarder un quart d'heure avec lui et ses visiteurs.

C'est véritablement aux hommes que je viens de nommer et à quelques autres dont on trouvera plus loin les noms que Stendhal doit sa notoriété actuelle : leur labeur acharné a permis la publication et la diffusion d'une trentaine de volumes tirés de l'immense œuvre manuscrite de Beyle [...]

Rue de Condé, Paupe est dans le milieu qui lui convient. L'atmosphère est très stendhalienne. Remy de Gourmont rédige une bonne partie de la Revue sous des pseudonymes divers, et même sous son propre nom, suivant les sujets traités, imitant en cela Beyle dont les pseudonymes littéraires sont innombrables.

En 1904, le Mercure publie la première série des « Soirées du Stendhal-Club ». La seconde série suit en 1906. Cette « mystérieuse confrérie » a fait couler beaucoup d'encre. « Qu'est-ce que le Stendhal-Club ? Quand se réunit-il ? Quels sont ses membres ? » demandaient les non-initiés. Et comme ces questions ne paraissaient pas émouvoir les intéressés, d'obscurs publicistes en profitaient pour écrire sur ce sujet des articles abracadabrants.

Ce n'est qu'en 1914, dans « La Vie littéraire de Stendhal » que Paupe a fourni quelques précisions sur ce sujet. Quelques années auparavant, la description fantaisiste qu'il avait donnée dans le Mercure d'une soirée au siège du Stendhal-Club lui avait valu une sévère semonce de Remy de Gourmont. Ce dernier signait certains de ses articles du pseudonyme féminin « Lucile ». Or, Paupe, dans le compte rendu de cette soirée imaginaire faisait de Lucile une jeune beauté dont les charmes avaient séduit l'assistance. Elle avait servi le thé elle-même et, par acclamations, avait été sacrée reine de cette brillante soirée. La plaisanterie était un peu grosse et Remy de Gourmont se fâcha. On sait quelles disgrâces physiques il devait à une maladie qui en avait fait une sorte de gnome affligé par surcroît d'un lupus de la face... Mais il était magnanime et Paupe obtint rapidement son pardon qu'il sollicita avec une tendre insistance.

En réalité, le Stendhal-Club ne se réunissait jamais C'était une fiction qui s'appliquait à tous les admirateurs de Stendhal ayant publié quelque volume, étude ou article important sur le Maître [...].