Renée Vivien

La touffe de violettes

C'est une histoire qui ne signifie rien, puisqu'elle n'a de rapports qu'avec le pur amour, avec la beauté, avec les tendres souvenirs nés de l'imagination et de la rêverie. Ce n'est même pas une histoire, c'est un geste, un mouvement du cœur. Une jeune femme, qui était aussi un de nos poètes les plus pénétrants et celui dont la divine mélancolie va le plus haut et le plus loin, eut l'idée charmante, se promenant à travers l'Archipel, de vouloir planter de sa main une touffe de violettes dans la terre même où avait vécu et aimé Sapho, à Mytilène, l'antique Lesbos. Or dans ce temps, en vertu de je ne sais quel décret ou caprice de Sultan, il était défendu d'introduire aucune plante à Mytilène, qui est en effet possession turque. Mais l'amour connaît toutes les ruses et la jeune femme cacha dans son sein la touffe de violettes qu'elle voulait voir fleurir sur ce sol sacré. Je ne sais et personne sans doute ne sait ce qu'il est advenu de la petite touffe de violettes, mais les dieux l'ont peut-être prise sous leur protection, et peut-être que là-bas elle a encore quelque puissance. N'importe. Quelle qu'ait été la suite de ce geste, il est si délicat que j'ai voulu le noter, tel qu'il est venu à ma connaissance. Seule, une femme, et une femme au cœur profond comme Renée Vivien, car c'est elle, en était capable. Vous qui aborderez à Mytilène et qui songerez à Sapho et à Lesbos,

Mère des jeux latins et des voluptés grecques,

songez aussi à la jeune femme qui porta dans son sein la touffe de violettes avec ses racines et sa terre et qui la planta tendrement aux pieds de l'idéale statue de la Poésie.

Sappho la poétesse

L'autre jour, à la séance publique de l'Académie des inscriptions, M. Théodore Reinach a lu une bien singulière notice sur Sappho, indigne vraiment à la fois de son solide esprit et de son ingéniosité. Le prétexte fut quelques nouveaux fragments de la poétesse, d'ailleurs déjà bien connus, d'une interprétation difficile, mais qui en tout cas ne permettent aucunement de retoucher son portrait traditionnel. De plus, M. Reinach a feint de vouloir sauver la mémoire de Sappho de l'accusation d'avoir été une courtisane et il n'a fait que montrer son ignorance de notre littérature, où, sauf d'insignifiantes exceptions, elle a toujours été traitée comme une personne de mérite et de haut rang. La plus abondante et la plus populaire des romancières du dix-septième siècle, Mlle de Scudéry, aimait qu'on l'appelât « l'illustre Sappho » et je ne pense pas que l'idée de se faire comparer à une courtisane soit jamais venue à cette pompeuse et vertueuse personne. Quant aux poètes et aux érudits modernes qui en ont parlé, que ce soit Renée Vivien ou M. Mario Meunier, ils n'ont pas attendu M. Théodore Reinach pour différencier Sappho d'Erèse, la courtisane, plastron des comiques grecs, d'avec Sappho de Mytilène, que Platon nomme la dixième muse. L'intention de M. Reinach part peut-être d'un bon naturel, mais il a, par amour de la vertu et de la régularité, fortement dépassé la mesure en faisant de la poétesse une sorte de Maintenon, dirigeant une sorte de Saint-Cyr, aimant ses élèves comme une bonne maîtresse d'école et leur adressant, à leur départ, quelques petits vers d'amitié. « Elle parle de sa jalousie, explique-t-il, mais « c'est comme on dit d'un élève qu'il fait une infidélité à son professeur ! » Tant de candeur entre-t-elle dans le cœur des membres de l'Institut ? Ce n'est pas possible. M. Reinach s'est-il moqué de ses collègues et du public académique ? Impossible également. Je pense qu'il a été pris d'un de ces accès de vertu qui portent malheur.


Mardi, 13 décembre 1910. Chère Natalis, avant de remettre à Schéhérazade votre article sur Renée Vivien, je l'ai relu avec soin et j'ai remis au point quelques phrases incertaines. Cela m'a intéressé, vous me prêterez les livres de votre amie, que je connais mal, et vous m'expliquerez ce que je ne comprendrai pas dans cette psychologie mystérieuse [...].

Mardi, 23 mai 1911. Tendre amie, voici des nouvelles du médaillon de votre petite Renée Vivien. C'est vous, sachez-le, qui êtes « les personnes que je connais, que cette initiative pourrait intéresser ». Vous voyez que je ne vous ai pas beaucoup compromise.

[...] Carte jointe. – Henri Chomet, directeur « d'Ombres et Formes », Marcigny, par Saint-Pierre-le-Moûtier (Nièvre).

Mon projet d'apposer un médaillon sur la tombe de noire Muse disparue. Renée Vivien, est en bonne voie, et puisque vous connaissez des personnes que cette initiative pourrait intéresser, je vous tiendrai avec le plus grand plaisir au courant de la marche de l'affaire. Pour le moment nous établissons solidement les premières bases sur lesquelles nous allons marcher [...] Signé : Henri CHOMET.

Mercredi soir [...]. Je ne sais rien de plus pour Renée Vivien que ce que je vous ai dit et communiqué, mais je puis m'informer près de cet homme qui fait cette lointaine revue.


A consulter :

Renée Vivien

Jean de Gourmont, « Renée Vivien », Muses d'aujourd'hui, Mercure de France, 1910, pp. 109-137

Laurent Tailhade, « Renée Vivien », La Médaille qui s'efface, Crès, 1924, pp. 239-245