A. V. : XXe Anniversaire de la Mort de Remy de Gourmont......................... 5
Gabriel Brunet : Remy de Gourmont......................................................... 6
Paul Léautaud : Remy de Gourmont. Journal littéraire. 1906 (Fragments)... 50
Michel Puy : L''Œuvre et les Idées de Remy de Gourmont......................... 78
Henry Dérieux : Face à face, poèmes...................................................... 99
Henri Valentino : Le Ligueur malgré lui.................................................. 105
Marguerite Yourcenar : Deux Amours d'Achille, nouvelle..........................108

REVUE DE LA QUINZAINE
André Fontainas : Les Poèmes, 128.
John Charpentier : Les Romans, 132.
Pierre Lièvre : Théâtre, 137.
P. Masson-Oursel : Philosophie, 141.
W. Drabovitch : Psychologie, 143.
Georges Bohn : Le Mouvement scientifique, 145.
A. van Gennep : Anthropologie, 149.
Maurice Magre : Sciences occultes et Théosophie, 153.
Charles-Henri Hirsch : Les Revues, 156.

La Revue universelle : Remy de Gourmont vu par Lucien Corpechot et revu par un autre. – La Vie : la superstition de l'inédit. – La Nouvelle Revue Française : proclamation de M. Léon-Paul Fargue : la Poésie qu'on prétend morte est vivante ; son ennemie est la littérature ; un poème d'une poétesse nouvelle. – Rectification. – Mémento.

René Dumesnil : Musique, 163.
Gustave Khan : Art, 168.
P. Mirabel : L'Art à l'Etranger, 173.
Charles Merki : Archéologie, 178.
Gaston Picard, René Martineau : Notes et Documents littéraires. Le vingtième anniversaire de la mort de Remy de Gourmont. Remy de Gourmont au lycée de Coutances, 180.
Paul Guiton : Lettres italiennes, 192.
Z.-L. Zaleski
: Lettres polonaises, 197.
Emile Laloy : Bibliographie politique, 202.
Nicolas Brian-Chaninov : Ouvrages sur la Guerre de 1914, 206.
Paul-Henri Michel : Variétés. Une lettre sur les « atrocités » russes pendant la campagne de crimée, 209.
Mercure : Publications récentes, 214.

Echos, 216.

Mort d'Antoine Albalat. – Un monument à Pierre Lasserre.– Un poème inédit. – Le premier concert de César Franck à Paris. – Sur les sources du « Bateau Ivre ». – A propos de « La vie du scorpion ». – Le vers qui manque dans « Une soirée perdue ». – La naissance hâtive du pont d'Iéna.– Une recette infaillible. – Erratum. – Le Sottisier universel. – Publications du « Mercure de France».


 XXe ANNIVERSAIRE
DE LA MORT DE
REMY DE GOURMONT

On sait quelle fut l'active collaboration de Remy de Gourmont au Mercure de France, dont il était l'un des onze fondateurs, et la part que durant vingt-cinq années il prit à son développement. Il y donna le meilleur de son œuvre, jouissant du rare bienfait, comme toute la rédaction d'ailleurs, de pouvoir s'y exprimer sans contrainte. Il l'atteste ainsi dans la préface posthume du tome VI des Promenades Littéraires : « C'est ce principe de liberté qui a permis l'éclosion de ma personnalité. Où je ne suis pas libre, je ne suis plus moi. » Ce témoignage nous est infiniment précieux.

Nous marquons aujourd'hui le vingtième anniversaire de la mort de notre ami, survenue le 27 septembre 1915, par la réunion dans ce numéro de plusieurs écrits évoquant sa mémoire.

A. V.

p. 5


La Revue universelle : Remy de Gourmont vu par Lucien Corpechot et revu par un autre.

Déjà vingt ans que Remy de Gourmont n'est plus parmi nous ! Il y demeure sous la vivante espèce de ses livres. Ils lui ont valu à l'étranger une gloire d'écrivain, de philosophe, d'encyclopédiste. Elle prépare l'établissement de son immortalité chez nous. Sa grande et mobile sagesse (par ses retours même, par cette sorte de bégaiement de sa parole qui, dans ses écrits, devenait des contradictions nées de ce que la vie des idées et des faits ne cesse d'éclairer une intelligence active et saine) constituait une force dont aurait besoin notre temps de folie basse, sans ailes ni généreuse illusion. Sinon tout, beaucoup de choses d'aujourd'hui révolteraient Gourmont, plus encore que naguère, lorsque ses Dialogues des Amateurs et ses Epilogues tentaient de faire justice des sottises individuelles ou collectives de l'homme.

Il me souvient en particulier d'un Gourmont qui partageait avec Paul Roinard (il cachait alors son trop glorieux prénom de Napoléon, offensant pour l'anarchiste dont il se croyait le prototype) la direction des Essais d'Art libre. La rédaction, sans bureau, se réunissait dans une brasserie du faubourg Saint-Honoré, près la rue Royale. Alfred Jarry, très sage sorbonnard, y fréquentait, attentif à ne payer que sa propre consommation, l'air timide d'un jeune bourgeois de province. Gabriel Randon parlait haut. Léon-Paul Fargue, les cheveux drus en désordre, comme ceux du Rimbaud de Fantin-Latour, décochait au futur Jehan Rictus les fléchettes d'un sarcasme suraigu. Edmond Girard, l'éditeur de la revue, employé au ministère de la Marine, une tête de souris aux petits yeux bondés de rouge, poète d'une Neigefleur dialoguée pour le théâtre, semblait admirer par prescience dans Lucien Hubert, alors auteur du Missel pour les jolies païennes et étudiant en sinologie, le Garde des Sceaux d'hier et de demain qu'est l'actuel sénateur des Ardennes. Gourmont roulait des cigarettes bossuées et maigres, très vite consumées. Il essayait, par la douceur, d'imposer pour le prochain sommaire des textes étrangers au combat social préconisé par Roinard, et qui tendissent vers un Beau durable. II usait d'une ironie délicate, des moyens d'un sûr lettré. Cela changeait en taureau furieux le rimeur de Nos Plaies, déjà méconnu et qui l'oubliait sous l'influence des rosâtres « absinthe-grenadine » dont il infligeait le déluge à son estomac étonnamment capable. Les deux directeurs finissaient par s'entendre. Gourmont l'emportait toujours, soutenu au moment décisif par Girard. L'alliance opposait deux Normands résolus à un troisième Normand devenu tendre, jeté dans les utopies par sa boisson couleur de corail pâle. Le Théâtre d'Art de Paul Fort avait joué Théodat, de Gourmont, et une adaptation à la scène du Cantique des Cantiques, par Roinard. C'était un lien entre les deux auteurs. Ils n'empêchèrent la disparition prématurée des Essais d'Art libre. Cependant Girard avait publié Le latin mystique, Lilith, les Portraits du Prochain Siècle qui, en cet an 1935, sont d'une lecture fort divertissante et instructive.

Mais, c'est assez de tribut à l'anecdote. D'elle relève aussi le fait que nombre des paroles de Gourmont retenues par M. Lucien Corpechot et par lui fixées dans ses « Souvenirs d'un journaliste » dont une nouvelle série commence (La Revue Universelle, ler septembre) — reproduisent, à une virgule près, tel ou tel des Epilogues de notre philosophe, et non pas « à peu près textuellement », comme le déclare le mémorialiste. Celui-ci, involontairement sans doute, tout en reconnaissant la diversité de Remy de Gourmont, ne se le rappelle pour l'information des lecteurs d'une revue nettement royaliste et nationaliste, que partisan des idées conformes à une telle politique.

M. Corpechot, s'il juge Gourmont, se place sous l'autorité d'hommes qu'il place plus haut dans son admiration. Il écrit en effet :

M. Charles Maurras m'a subitement éclairé un jour que, nous promenant sur l'Esplanade du château de Versailles, nous évoquions les fantômes de notre jeunesse :

— Remy de Gourmont, me dit-il, n'avait pas le goût de servir.

C'est vrai ! Et servir c'est la marque même de la noblesse.

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Je me souviens que Quinton lui ayant déclaré un jour que la Physiologie de l'amour était un livre sans valeur scientifique, il se fâcha tout rouge, et tout bégayant nous fit un discours bref mais net sur les rapports du génie et de la sexualité.

Quelques lignes après ces dernières, M. Corpechot confesse :

Mes souvenirs me présentent peut-être un Gourmont à l'usage de mes préférences ! En réalité, je crois qu'on peut décrire ce curieux homme sous les aspects les plus différents et tous vrais néanmoins !

Aussi, peut-on objecter que si « le goût de servir » manqua à Remy de Gourmont, la remarque sous-entend ou implique : une cause politique. Rarement, écrivain servit mieux le style et la liberté de pensée. Et il eut mille fois raison de « se fâcher tout rouge », d'entendre René Quinton nier toute « valeur scientifique » à un ouvrage de vulgarisation d'un mérite indiscutable, et dont le titre exact est : La Physique de l'Amour [1].

Ceci est mieux :

Gourmont était un aristocrate : il donnait du ton et du style à tout ce qu'il touchait. Aristocrate, il l'était certainement par sa naissance, par son éducation, par sa culture, par son mépris pour ces sottises oratoires et sonores qui sont l'évangile de la démocratie, par son dédain des idées reçues, son amour du beau, par ses préférences intellectuelles.

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Je n'ai pas besoin de dire qu'il n'était dupe d'aucun des lieux communs du bavardage politique.

Oui, quel que fût le parti du bavard.

Nous lisons encore :

Gourmont se faisait gloire de son scepticisme. Vigny disait : seul le silence est grand. Gourmont aimait à citer ce propos ; il ajoutait : seul le scepticisme est noble... Il faut loger dans l'hôtellerie de son cerveau des idées contradictoires et posséder assez d'intelligence désintéressée, assez de force ironique pour leur imposer la paix...

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Il ne faudrait pas croire que ce solitaire fut sans influence sur son temps. Le Mercure était entre les deux guerres la lecture préférée des étudiants, la revue la plus accréditée auprès de la jeunesse des écoles. Avocats, médecins, fonctionnaires disséminés en province en demeuraient les abonnés. Il leur apportait en de petites villes assoupies le souffle spirituel de la Montagne Sainte-Geneviève. Ainsi Gourmont, qui en était l'âme, participait à la vie intellectuelle de la bourgeoisie française. Il y entretenait une sorte de voltairianisme tout à fait dans la tradition de la classe moyenne et qui l'empêchait de prendre au sérieux les sottises de la Loge...

Cette influence-là s'est effacée... Gourmont reste honoré dans une petite chapelle de philosophes et de lettrés ; mais il est ignoré, de la jeunesse pratique et sportive d'aujourd'hui et peut-être bien que son ironie à l'endroit du progrès, sa haine des machines et son goût des spéculations intellectuelles que j'ai tenté de mettre en évidence seront pour elle un objet de scandale.

Nous pensons au contraire qu'après cette « jeunesse pratique et sportive » viendra une jeunesse moins curieuse des records de vitesse d'un coureur et plus attentive aux jeux de l'esprit. Cette jeunesse aimera dans Gourmont un nouveau Montaigne. Elle trouvera des disciplines littéraires dans Le Problème du Style. Elle se passionnera pour la forme et pour le fond de Sixtine. Le Pèlerin du Silence lui sera un émerveillement. Elle prendra un plaisir léger à Une nuit au Luxembourg et à Un cœur virginal. Elle puisera dans La Culture des Idées, Le Chemin de velours, les Promenades Philosophiques, la nourriture et les exemples qu'offrent à l'appétit spirituel des jeunes hommes les classiques de tous les âges.

[1] Physique de l'Amour serait encore plus exact [note des Amateurs].


Mort d'Antoine Albalat. — C'était une figure très sympathique que celle d'Antoine Albalat, qui est mort le 22 septembre, à près de 80 ans. Attaché longtemps au Journal des Débats comme secrétaire de la direction, puis rédacteur du feuilleton littéraire, il laisse des livres pleins de goût et d'érudition, dont le plus connu, Comment il faut lire les classiques, sera lu longtemps par ceux qu'intéressent encore nos grands écrivains d'autrefois. Albalat fut l'ami de Moréas, de Louis Dumur, de notre collaborateur Henri Mazel... et de beaucoup d'autres.

p. 216