A moins de la recommandation d'un maître influent, un écrivain de vingt ou vingt-cinq ans ne pouvait compter se faire éditer dans une maison sérieuse. La « chasse aux jeunes » était un sport inconnu de messieurs les éditeurs d'alors. Seul le Mercure était accessible aux débutants ; je n'avais pas l'esprit de la maison, je n'étais pas d'avant-garde, je n'étais pas symboliste. Eugène Rey offrit de me donner un mot d'introduction auprès d'Alfred Vallette, mais à quoi bon ? Bénoni n'avait rien de ce qui plaisait rue de l'Échaudé. Nulle recherche originale de forme, nul alambiquage de sentiments. Bref, et puisque je paraissais pressé de voir paraître mon livre, Rey me conseillait de m'adresser à Edward Sansot, rue de l'Éperon. De ce côté, de ce côté seulement, j'avais quelque chance d'être accueilli.

Curieux bonhomme que Sansot ! Dans un rez-de-chaussée obscur et humide, entre la rue Danton et la rue Saint-André-des-Arts où il avait précédemment installé sa Bibliothèque internationale d'édition, ce Bordelais au prénom britannique, qui, après avoir été professeur de français en Italie, s'était, en 1903, établi éditeur et, avec le concours d'Adolphe Van Bever, avait entrepris de réimprimer nos vieux poètes du XVIe siècle, offrait l'aspect d'un rond-de-cuir du temps de Balzac. Sa physionomie était ingrate, son accent raboteux, sa parole hésitante, sa santé délicate, sa tête recouverte en hiver d'une calotte louis-philipparde. On lui attribuait une certaine prédilection pour les jeunes gens. Il aimait le modern' style, qui était d'ailleurs le style de l'époque. Il éditait Péladan, Barrès, Paul Adam, Jean Lorrain, Moréas, Henry Bordeaux, Renée Vivien et bien d'autres. Il demandait de l'argent aux auteurs de vente incertaine et aux nouveaux venus, mais, jusqu'en 1913, Bernard Grasset n'a guère fait que l'imiter, Figuière aussi, et il n'y a pas de raison de principe à opposer au compte d'auteur. C'est affaire d'honnêteté de la part de celui qui, contre de l'argent, s'engage à faire imprimer et à mettre en vente votre livre. J'ai toujours considéré Sansot comme honnête, et personne, à ma connaissance, ne l'a jamais traité de bandit.

Il me reçut fort gracieusement, lut mon manuscrit, me dit qu'il le trouvait bon et qu'il eût eu plaisir à l'éditer à ses frais, mais que, vu mon obscurité, il n'était pas raisonnable de compter sur une vente rémunératrice. Aussi, se voyait-il dans la nécessité de me demander une petite participation à la dépense : quatre cents francs. La seule impression de mon livre en coûterait huit cents et il y avait les frais généraux... (André Billy, La Terrasse du Luxembourg, Arthème Fayard, 1945, pp. 231-232)


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Jean de Gourmont