Buste de Gourmont.

Raoul Dufy et moi avions vainement cherché dans la ville le monument de Remy de Gourmont. Ne le découvrant pas davantage dans ce jardin, nous demandâmes en sortant sur quelle place nous le pourrions trouver, afin de déposer une rose sur sa stèle. Il nous fut répondu que nous l'avions passé près du grand bassin. "Craignez, écrivait Gourmont pour ses contemporains, d'avoir frôlé du coude l'homme de génie sans vous en être seulement aperçu ! "

Gourmont est là, caché dans l'ombre verdière. Il ressemble au vieux Faune chanté par Verlaine "qui sourit à ces instants sereins", et il ne manque à sa stèle que l'ornement phallique. Il tient encore de Saint-Evremon[d], avec qui il avait aussi quelque ressemblance d'esprit et de style, et qui, d'ailleurs est de Saint-Denis-le-[Gast], dans la Manche. A sa droite est un frêne pleureur qui a l'air d'une dame à crinoline, et à sa gauche un aubépin qui voisine avec un houx. "Simone, le soleil luit sur la feuille du houx", soupirait Gourmont qui avait, toutefois emprunté ce vers à Saint-Amant. Voilà, avec les sophoras et les cèdres qui lui font vis-à-vis, pour les "compagnons de son triste cœur". Il y a aussi les héliotropes, les géraniums et les roses, "fleurs hypocrites, fleurs du silence", qui fleurissent à ses pieds et ses côtés. Mais il y manque la fougère qu'il aimait tant et que certains poètes de la gauloiserie, disait-il, ont déshonorée. Rien n'est plus beau que la fougère de la Manche et de l'Orne, en effet. C'est la plante des solitudes de Lessay, de Mortain et de la Basoche-en-Houlme. Elle forme une mer houleuse de verdure, mais à la houle immobile. Avec elle pousse l'airelle-myrtille qui noircit les lèvres et que les enfants rapportent enfilées d'une avoine. Sur elle dansent les elfes au tintement de leurs grelots et sans faire ployer sa tête, par les belles nuits de lune qui glacent d'argent son feuillage. Elle semble tenir de la plante et de la bête, et elle connaît les maléfices des sorcières, ayant reçu la semence du Diable. Ce sont les raisons que je trouve au bout de la plume qui la faisaient aimer de Gourmont...

Néanmoins, ce n'est pas là que j'aurais placé le buste de l'auteur des Promenades Philosophiques, devant ce bassin d'eau morte qui, pourtant, convient si bien à sa rêverie, avec ses nénuphars et ses cyprins décolorés et monstrueux, passant et repassant comme les images inlassables d'une délectation morose. C'est à gauche, plus loin, tout en haut du Labyrinthe ou Colimaçon, qui, pour moi, représente la pensée de Gourmont, inaccessible au commun, habile en détours, trompeuse, spécieuse, contradictoire et secrète par pudeur, par timidité, surtout par orgueil. Il eût dominé ce labyrinthe avec ironie, mais non sans amertume, celle-là même qui fut le poison de son orgueil, l'orgueil qui l'avait retiré du monde (F. Fleuret « Coutances et Remy de Gourmont », De Gilles de Rais à Guillaume Apollinaire, Mercure de France, 1933).