COURRIER LITTERAIRE

Nos morts...

Joseph Quesnel, le bon imagier et éditeur normand est mort, — dans sa trente-cinquième année, ajoute l’avis funéraire. Ainsi, en pleine production, disparaît un esprit original, un artiste toujours sollicité par un projet nouveau, une intention savoureuse. Joseph Quesnel ressuscitait avec une pointe de modernisme aigu la naïveté des chantefables, la galanterie désuète des almanachs et des madrigaux du XVIIIe. En peinture, l’outrance l’effrayait peu et parfois une toile hâtive est chez lui une toile de grande classe. (Il avait vécu dans l’intimité des Pierrots de Willette et avait gardé quelque chose de leur grâce funambulesque.) Enfin, comme éditeur, à l’enseigne capricieuse du Pou qui grimpe, il a donné quelques livres et brochures que rechercheront les bibliophiles, quand ce ne serait que de très précieuses éditions de Rémy de Gourmont, à la gloire duquel il se consacra un moment, et sa dernière pensée, cette anthologie du Chien de Pique où avaient collaboré, avec d’autres, Jean Cocteau, André Salmon, Yves Alix, Gus Bofa.

J’avais connu Joseph Quesnel « sous le signe » de Guillaume Apollinaire. C’est déjà un temps qui s’oublie que celui où disparut l’étrange magicien polonais qui apporta à la poésie française une beauté troublante dont l’influence vibre encore profondément. Engagé volontaire, lieutenant d’infanterie, il fut trépané à Château-Thierry pour une balle reçue au front, et la grippe espagnole l’emporta fin 1919. C’est un beau monument inachevé que son œuvre singulière, outrancière parfois, dont les colonnes sont ces romans nostalgiques, ces poèmes brûlants et hermétiques : Le Poète assassiné, L’Hérésiarque, Alcools.

L’évoquant, on voit, près de lui se lever la silhouette frêle, drapée d’une robe de chambre écarlate du gentilhomme de lettres si parfaitement fin et disert, Jean de Gourmont, dans la belle vieille maison accueillante qu’illustra son frère Rémv. Jean de Gourmont dont la bonté égalait le talent et qui eut, jusqu’à sa fin prématurée, le culte passionné des lettres et des arts qu’il servit si bien.

Aux vifs regrets des connaisseurs, que d’amis morts le long de la route, brûlés dans la fournaise parisienne : Guillaume Apollinaire, Jean de Gourmont ! Et, aujourd’hui, un de plus, le disciple qui fréquenta leur haute tour d’ivoire, Joseph Quesnel, le bon imagier de Coutances.

Jeanne-Yves BLANC.

Le Petit Méridional, 9 décembre 1931.


Sacré vieux Marcel !

Si le petit Quesnel savait où il est, y a longtemps qu'il te l'aurait écrit !

Je suis parti un beau matin de février comm' ça pour un carnaval à Châlon-sur-Saône. Après je suis venu installer la boutique rue de Seine, à Paris. Je me suis fait choyer, chouchouter deux longs mois chez Ronsay. J'ai organisé des expositions au P.Q.G. parisien. J'en ai organisé depuis à Saint-Lô, Granville, et me revoilà parisien avec un tas de beaux projets. On m'a ouvert les appartements de Remy de Gourmont pour abriter ma petite carcasse et j'y travaille en ce moment à réorganiser l'Imprimerie gourmontienne. Je pense repartir vers Coutances quand le soleil me fera signe... »

Lettre de Joseph Quesnel à Marcel Lebarbier, août 1924.


Coll. René Le Texier

Joseph Quesnel
chez Remy de Gourmont
en 1924

JOSEPH QUESNEL (1897-1931). Peintre, dessinateur, graveur, poète, romancier, il fut le fondateur du Pou Qui Grimpe, groupement artistique et littéraire, qui fit les beaux jours culturels de Coutances de 1915 à 1922. Les artistes du P. Q. G. se proposaient de « rénover l'art populaire » et de « faire connaître et aimer la petite ville non seulement en Normandie, mais encore dans tous les milieux de lettrés et d'artistes du pays » (Georges Laisney). On doit au Pou Qui Grimpe un portrait de Gourmont gravé sur bois, une édition de la Petite Ville, avec des bois de Quesnel ; l'édition de Huit aphorismes, avec des bois de Suzanne de Gourmont. Le Pou Qui Grimpe publia également Zigoui, Musique immobile, de Jean de Gourmont et les Fantômes d'Henri de Gourmont. Certains de ces textes parurent en même temps dans l'Almanach des saisons (printemps 1920-printemps 1921), qui accueillit aussi les textes ou les « images » de Desnos, Dubus, Bachelin, Harel, Fontainas, Carco, Raynaud, Mac Orlan, Barbey d'Aurevilly, Chapront, Willette... À l'Almanach des saisons succéda l'Almanach de la Destinée la Rose au Bois (1922-1924). C'est aussi le Pou Qui Grimpe qui organisa les Journées Remy de Gourmont à l'occasion de l'inauguration de son buste. Monté à Paris, Quesnel fonda une Société d'amateurs de gravures originales et la revue le Chien de pique, où se côtoyaient : Chas Laborde, Dufy, Derain, Friesz, Marie Laurencin, Mac Orlan, Pascin, Rouault, Fleuret, Max Jacob... Il illustrera de bois gravés le Joujou et trois autres essais aux Éditions de la Belle Page et, logeant dans l'appartement de Remy de Gourmont, travaillera à la réorganisation de l'Imprimerie gourmontienne, bulletin trimestriel dont le but était notamment de recueillir la correspondance du maître et de publier ses inédits.


Joseph Quesnel

A consulter :

Madeleine et Guy Catel, Chez-nous en Normandie. Les poètes des origines à nos jours, Editions de la Revue moderne, 1945, p. 108-109

Cosedia, revue d'information de Coutances et sa région, n°31, « Spécial Pou qui grimpe », avril 1984

Charles-Théophile Féret, Raymond Portal et divers auteurs, Anthologie critique des Poètes Normands de 1900 à 1920, Librairie Garnier frères, 1920, p. 391-394

Marcel Lebarbier : « Joseph Quesnel et son Pou qui Grimpe », la Revue normande, n°159, 1943, p. 7-10

Béatrice Manneheut : Joseph Quesnel (1897-1931), poète, peintre, graveur, imprimeur et éditeur du Chien de Pique , DEA d'histoire des arts, université de Rennes II, juin 1995 (121 p.)

Blanchelande

Sur le Pou qui Grimpe :

C. Guénolé, « Le Pou qui Grimpe », Le Viquet, n° 137, St-Michel 2002, pp. 16-18

Ph. Duval et C. Guénolé, « Le Grand Hôtel de la Gare de Coutances », Le Viquet, n° 123, Pâques 1999, p. 83-97

Le Livre du pou, fac-similé du manuscrit conservé à la médiathèque de la communauté de communes de Coutances, Editions Cahiers du Temps, 2002


SUR JOSEPH QUESNEL ET SON « POU QUI GRIMPE »

Logis du Pou qui grimpe ! Je sais : il y avait de quoi effaroucher les gens-bien ; faire faire la moue à ceux qui trouvaient que cela sentait le rapin fin-de-siècle à cheveux longs et pantalon de charpentier. Quesnel lui-même n'avait pas adopté de prime abord cette enseigne à épater le bourgeois : la plaque en forme de palette au-dessus du marteau de porte de son atelier ne portait que les initiales mystérieuses C. D. S. Plus tard, quand le foyer d'art devint foyer d'édition, le titre effarouchant fut pudiquement abrégé en Editions du P. Q. G., et cela depuis la première publication, l'album de bois gravés de la Cathédrale de Coutances, jusqu'à la dernière, les Eglogues de Jean Giono (1). Aux jeunes vendeurs de la librairie Crès qui demandaient à Quesnel : « Mais, qu'est-ce que cela veut dire, P. Q. G. ? », il répondait : « Cela veut dire Petit Quartier Général ». Oui, mais....

Mais sur maints prospectus et catalogues, sur les curieuses cartes illustrées que le « Petit Quesnel » adressait à ses amis au début de chaque année, la formule « Logis du Pou qui Grimpe » s'étalait en toutes lettres.

Mais des milliers d'enveloppes ont porté la suscription : « M. Joseph Quesnel. logis du Pou qui Grimpe, Coutances, Manche », et non 13, boulevard de l'Ouest.

Mais notre compatriote, le compositeur Erik Satie, chargé d'écrire la préface de la première exposition parisienne de notre groupe d'imagiers coutançais, y allait de sou petit couplet lyrico-humoristique à la louange de l'insecte qui aspire à l'ascension :

« Le pou — ce modeste compagnon de l'Homme, et dont la tenace fidélité égale celle dit chien — est leur égide.

« Fortement calomnié, le pou est un animal qui n'est pas plus sale qu'un autre. C'est donc un banal préjugé que de craindre le pou. Parasite ?... Lui ?... Il ne l'est pas plus que le cheval, et coûte mille fois moins cher à nourrir, à élever que le célèbre coursier. Oui.

« N'insultons plus les poux, je vous prie ; ne les écrasons plus de nos ongles, de notre mépris... »

Mais la « Venelle du Pou qui Grimpe » porte toujours sa plaque indicatrice sur un vieux mur fleuri d'humbles plantes pendantes et, en attendant qu'un érudit, dans 2 ou 300 ans, ne découvre que cette dénomination remonte au Moyen-Age et ne la catalogue sur ses fiches entre la rue Trousse-Nounain et la rue de la Bute-y-Musse, osons décider bravement que ie logis du Pou qui Grimpe est entré dans l'Histoire de Normandie.

Au surplus, pendant la guerre de 14-18 qui vit leurs débuts, les trois amis fondateurs du vivant loyer d'art et de poésie, Joseph Quesnel, Jean Thézeloup, René Jouenne, avaient-ils besoin de secouer la curiosité du public bas-normand, peu porté par tempérament à s'intéresser à des formes neuves qui n'étaient pas encore baptisées « Art vivant » (2). A cause de cela une enseigne insolite n'était pas inutile. Comme dans ma première lettre, en mai 1918, je lui avais fait part de l'irritation que me causait, de la part de nos compatriotes, une curiosité intellectuelle trop exclusivement tournée vers le passé, Quesnel me répondait :

« ...Et pourtant quand on, leur présente du nouveau, ils viennent en curieux, mais viennent. Avec nos amis en 1915 nous avions organisé une exposition d'art, chose sans précédent à Coutances. Tout le monde criait folie au, projet de trois gosses. Après quinze jours de durée (au lieu de trois comme nous l'avions pensé, nous versions aux hôpitaux plus de 1.200 francs et tous applaudissaient. »

Le « Pou » avait remporté sa première victoire coutançaise. Il devait en remporter d'autres. Ce fut un spectacle réconfortant que de voir des commerçants de la ville travailler de bon cœur au succès de l'Assemblée Saint-Pinxit, un saint de fantaisie (on s'en doute !) bombardé par nos amis patron des artistes peintres et fêté les 17 et 18 septembre 1921. Un an plus tard, en septembre 1922, l'Union des Commerçants mettait sur pied une participation locale fort jolie à l'inauguration du buste de Remy de Gourmont, et y attirait les foules ! Quesnel était devenu un personnage, sans cesser — heureusement ! — d'être un enfant terrible. J'aurais bien des anecdotes à conter sur ce chapitre. Pour le moment, je me contenterai de vous inviter à découvrir, dans Café, Sacristie qui paraît, édité en sa province natale (1), sous l'enfant terrible que la maladie mortelle avait exaspéré, l'authentique écrivain dont la renommée posthume, j en ai la ferme conviction, ne pourra que grandir.

Marcel LEBARBIER.

(1) A une exception près. Les Contes du pays normand, de Maurice-Ch. Renard furent publiés avec « des bois originaux de Georges Laisney et Jean Thézeloup, du Pou qui Grimpe ».

(2) Et pourtant je ne suis pas éloigné de penser que le pays de Coutances est un de ces lieux privilégiés « où souffle l'Esprit ». Ce pays n'a-t-il pas déjà donné aux Lettres françaises deux grands écrivains hors série, deux esprits non-conformistes, d'une vive originalité, Saint-Evremont et Remy de Gourmont. Saint-Evremont, Gourmont, Quesnel, toute une famille spirituelle.

(3) Café, Sacristie, roman, avec un portrait et des illustrations de l'auteur ; avant-propos de Marcel Lebarbier. Publications de « l'Amitié par le Livre », Camille Belliard, administrateur, Blainville-sur-Mer (Manche).

Café, Sacristie

Note des Amateurs : Café Sacristie est aussi apparu sous le titre de Tirelire, J. Susse, s. d.

DU MEME AUTEUR :

CATHEDRALE DE COUTANCES, dix images dessinées et coloriées par Joseph Quesnel, taillées dans le bois par Jean Thézeloup ; Coutances, édition du P.Q.G., 1919 (Epuisé).

LES MYSTIQUES LITANIES DE SAINTE JEANNE D'ARC, avec des bois gravés de Pierre Le Conte ; Coutances, édit. du P.Q.G., 1920 (Epuisé).

LA HARPE AUX SEPT CORDES, chantefable de Sainte Cécile, avec des bois gravés de l'auteur ; Coutances, éditions du P.Q.G., 1921 (Epuisé).

BRICABRAC ou LE VOYAGE DE LA CHAMBRE AUTOUR DE MOI, suivi du QUINZE AOUT ROTATOIRE, avec des bois gravés et coloriés par l'auteur ; Cherbourg, à l'Enseigne de la Chimère, 1922 (Epuisé).

PETIT ALPHABET GALANT A L'USACE DES FEMMES D'ESPRIT, orné de bois gravés par l'auteur et d'enluminures musicales par Robert Montfort ; Coutances, éditions du P.Q.G., 1927.

INEDITS :

L'ENSORCELÉE, adaptation théâtrale du roman de J. Barbey d'Aurevilly ; première représentation au Théâtre Municipal de Coutances, le 4 juin 1921.

GENS D'ALMANACH, contes. POESIES.

DOMINO, roman (inachevé).

ILLUSTRATIONS :

Bois gravés pour LES ROSES-SANG, d'Henri Dutheil, pour I'ALMANACH DES SAISONS, pour I'ALMANACH DE LA DESTINEE, LA ROSE AU BOIS, pour PAPILLONS DU SOIR, de Robert Organd, pour LA PETITE VILLE, de Remy de Gourmont, pour LES FANTÔMES, de Henri de Gourmont (Editions du P.Q.G.).

Dessins pour les PAGES CHOISIES INÉDITES, de Gaston Le Révérend. (Editions des Primaires),

Bois gravés pour LE JOUJOU, de Remy de Gourmont (Editions de la Belle Page).

Bois gravés pour des CHANSONS, de Paul Fort (Inédits). Images, Calendriers, Affiches, Lithographies.